La Lettre, avril 2024
Le 14 mai 2024 | 0 Commentaires
Laurent Gaudé nous revient, en ce mois d’avril, avec un nouveau roman, Terrasses, un récit choral qui retrace la tragédie du vendredi 13 novembre 2015. Philippe Collin fait parler le barman du Ritz et raconte l’Occupation vue de la Place Vendôme. Vous découvrirez l’incroyable histoire du seul manuscrit qui subsiste aujourd’hui de L’Éthique de Spinoza, retrouvé, il y a peu, dans les archives de l’Inquisition au Vatican.

Des essais virtuoses de deux spécialistes du genre : François Sureau porte un regard d’une grande acuité sur notre monde et nous fait partager ses souvenirs, et Pascal Bruckner nous dit comment la souffrance, en nous donnant « le courage d’endurer », nous permettra de faire face aux futurs « temps de fer » auxquels nos démocraties seront confrontées. Hervé Le Tellier part à la recherche d’André Chaix, un jeune et courageux résistant de la Drôme, l’occasion pour l’auteur de dénoncer avec vigueur le fascisme sous toutes ses formes.

Et puis, une fois n’est pas coutume, du théâtre, avec la découverte d’une pièce inédite de Jean Genet consacrée à Héliogabale, jeune empereur romain, un hédoniste pervers et sulfureux. 

Enfin, lisez impérativement le très beau livre que Xavier Le Clerc a écrit en hommage à son père. Vous pourrez venir ensuite parler à l’auteur que nous recevons le 17 mai prochain.

Bonne lecture !

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Romans – Récits

Terrasses, ou notre long baiser si longtemps retardé, Laurent Gaudé

Actes Sud
Date de parution : 10 avril 2024
ISBN : 9782330189143, pages, 16.67€

 » ‘Toi, oui, l’autre pas.’ À une seconde près, un centimètre près. Avoir de la chance ou pas. » p.35 

13 novembre 2015, extérieur nuit : Laurent Gaudé, dans un récit composé de dix chapitres, raconte. Il raconte l’horreur. D’abord l’avant, de celles et ceux qui se préparent, ce vendredi, à sortir pour retrouver à la terrasse d’un café ou d’un restaurant (il fait beau, comme un soir de printemps, ce jour là), ou dans une salle de concert, des amis, une amante, une soeur. Il raconte, pour certains, la joie de danser et d’oublier, de s’oublier, en écoutant leur groupe adoré. Puis c’est l’horreur, l’incompréhension, la stupeur, la fulgurante rapidité des exécutions sommaires, du massacre, la terrible loi du hasard, aussi, pourquoi elle, lui, et pas moi ? Et puis plus rien.
« Je ne serai plus… Plus jamais celle que je fus… Jamais… Plus rien d’autre… Que ce que je fus. » (page 37)
Ensuite c’est le chaos, l’incompréhension, une autre forme d’horreur, la souffrance physique, morale, la perte de l’autre, à jamais.
Laurent Gaudé, dans un style serré, théâtral, au sens de dramaturgie, construit son récit autour du destin croisé de victimes, de proches et parents, de secouristes et aussi de membres des brigades d’intervention de la police, ces femmes et ces hommes, qui, sans se connaitre, sont unis à jamais pour avoir vécu le même drame. Une polyphonie, souvent douce, malgré le fracas des armes, qui raconte le destin, heureux ou malheureux, de celles et ceux qui, ce soir du 13 novembre 2015, se trouvaient à la terrasse d’un café ou au Bataclan. Laurent Gaudé sait trouver les mots pour dire, pour décrire, cette nuit atroce.
Pierre-Pascal Bruneau

Le barman du Ritz,Philippe Collin
          
Albin Michel
Date de parution : 24 avril 2024 
ISBN : 9782226479938, 416 pages, 25.19€

« Dans cette guerre qui s’appelle maintenant paix, Frank Meier se sent ballotté entre deux mondes qui coexistent et ne se croisent jamais : le monde du dedans, celui du Ritz, avec son faste, son confort et ses carnassiers, et le monde du dehors, celui de la faim, du froid et de l’humiliation. Frank n’arrive pas à se faire à la situation. Il s’y refuse, même. Il s’accroche au mince espoir que Pétain pourrait peut-être encore renverser la tendance, rendre aux Français l’existence digne et décente dont ils sont privés depuis des mois. » p. 110 

Vous connaissez sans doute, grâce à France Inter, la voix de Philipe Collin et sa passion, érudite, pour l’histoire. Il nous propose cette fois un roman ; bien-sûr, c’est un roman historique. L’auteur nous invite à revivre l’Occupation d’un point de vue particulier. En effet, le personnage principal du roman est une figure centrale du fameux palace, le Ritz : Frank Meier, son non moins célèbre barman. Le Ritz est resté ouvert pendant toute cette période et a continué à recevoir les artistes et intellectuels français, ainsi que les grandes figures de l’armée allemande. On croise donc, entre autres, Guitry, Arletty, Gabrielle Chanel mais aussi Ernst Jünger, Otto von Stülpnagel ou Göring… Philipe Collin mêle très habilement les données historiques et la création littéraire et reconstitue l’époque , dans ce presque huis clos, avec précision et efficacité. Les grands faits sont connus, inutile de s’appesantir ; l’auteur choisit de restituer les difficultés ponctuelles et personnelles : comment survivre, s’adapter sans se trahir, protéger sans s’exposer, soi ou les autres. Frank Meier, personne réelle, ancien combattant, dont nul ne sait qu’il est juif, se retrouve témoin de premier ordre. Il se révèle un personnage de roman complexe et attachant. Découvrant, au cours de la narration, les pages de son journal, le lecteur revit vraiment cette époque où chacun tente d’exister entre peur et courage. Une réussite, un roman captivant, et utile en ces temps troublés !
Véronique Fouminet

EssaisSpinoza Code, Mériam Korichi

Grasset
Date de parution : 20 mars 2024
ISBN : 9782246827658, 240 pages, 22.42€

« Que risque Tschirnhaus?  Peut-être pas grand-chose, mais ne mettrait-il pas en péril l’héritage de Spinoza si son traité, non publié, se retrouvait aux mains de l’ennemi, ce que le philosophe a voulu éviter à tout prix de son vivant?  » p.217

Seuls deux des sept ouvrages de Spinoza ont été publiés de son vivant : Les Principes de la philosophie de Descartes (1663), une lecture critique de l’œuvre du philosophe, et le Traité Théologico-Politique (TTP) (1670), sur la nécessité impérative d’être libre de philosopher et d’exprimer ses idées. Spinoza a beaucoup d’ennemis, particulièrement parmi les philosophes et savants catholiques. Il est donc contraint, par crainte de poursuites et d’agressions, de publier le TTP de façon anonyme. Pourtant le livre lui est rapidement attribué et il est tout aussi rapidement interdit dans les Provinces Unies. Dès lors, lorsqu’en 1674, Spinoza termine L’Éthique, un traité qui révolutionnera la philosophie et les sciences humaines, il décide de ne pas le publier. Le philosophe meurt en 1677. L’Éthique, rédigée en latin, fruit d’un travail considérable de près de quinze années, sera publié la même année, au lendemain de sa mort.
Spinoza Code raconte l’incroyable et rocambolesque histoire du seul manuscrit existant de L’Éthique. En 1674, un philosophe qui remet en cause les fondements mêmes des religions et de l’origine du monde est menacé de mort. Conscient du nombre et de la puissance de ses ennemis, Spinoza décide donc de ne pas publier L’Ethique et la fait copier, dans un format dit de poche, qu’il confie au baron Ehrenfried Walther von Tschirnhaus, un jeune et brillant mathématicien allemand, acquis à sa cause. Ce faisant, il a l’espoir que Tschirnhaus, lors de son « Tour d’Europe », parviendra à la faire publier dans un pays où la censure ne l’interdira pas. Puis, ce Codex, dont l’existence est pourtant bien connue, disparait. Ce n’est que plus de trois siècles après la mort de Spinoza, en 2010, que le manuscrit est retrouvé. Où cela ? Au vatican, dans les archives de l’Inquisition.
Comment L’Éthique démontrée suivant l’ordre des géomètres, est-elle parvenue jusque là ? Mériam Korichi, professeure agrégée et docteure en philosophie, mène l’enquête, et quelle enquête !  Grâce à un formidable travail d’archiviste, l’autrice montre comment, au cours d’un long périple,
l’habile Tschirnhaus tente de gagner à la cause spinozienne les savants de son temps. D’abord à Londres, où, grâce à son compatriote Henry Oldenburg, premier secrétaire de la Royal Society, laquelle réunit nombre de scientifiques et philosophes de son temps, il porte la « bonne » parole. Toutefois, prudent, il ne révèle pas qu’il détient le précieux manuscrit. Après Londres, il  se rend à Paris, où il philosophe avec rien moins que Leibnitz et d’autres savants de la foisonnante société parisienne. Puis il part pour l’Italie. C’est dans la quatrième et dernière partie du livre que l’on découvre comment et pourquoi le Codex s’est perdu parmi les centaines de milliers d’ouvrages de la bibliothèque vaticane. Le Code Spinoza , construit comme un palpitant roman policier, réjouira philosophes et passionnés d’histoire.
Pierre-Pascal Bruneau

S’en aller, François Sureau

Collection Blanche, Gallimard
Date de parution : 14 mars 2024
ISBN : 9782073048424, 288 pages, 24.15€

« Je connais peu d’images aussi frappantes que celle par laquelle Nabokov décrit le départ d’un train : ce sont les wagons qui reculent le long du quai. Quant à la destination, elle n’est jamais celle qu’on a entrevue, en esprit, au moment de s’en aller. » p.75

Quoi de plus pertinent, de plus passionnant, que le récit des grands événements qui ont fait notre histoire contemporaine, lorsqu’ils sont racontés par des écrivains de talent ? Olivier Rolin dans Extérieur Monde (Gallimard, 2019), nous a fascinés et emportés par le récit de ses voyages extraordinaires. Si Rolin est un rebelle, presqu’un marginal, François Sureau, lui, fait partie du Sérail. Il a été conseiller d’État et avocat. Il est aujourd’hui écrivain et membre de l’Académie Française.
Pourtant il partage avec Olivier Rolin la passion des voyages et le désir de S’en aller. Dans ce livre souvenir, François Sureau revit certains moments de sa vie : la chute du Mur de Berlin ou la guerre en Yougoslavie dans les années quatre-vingt-dix. S’en aller, c’est aussi, et beaucoup, des réflexions sur l’aventure et sur la beauté du monde. L’auteur regarde avec recul et intelligence notre société, et nous rapporte ce qu’il voit et ressent, avec acuité et élégance, comme auraient pu le faire Paul Morand ou, dans un tout autre registre, Albert Londres, s’ils avaient été témoins des mêmes événements.
Pierre-Pascal Bruneau
 
Le nom sur le mur, Hervé Le Tellier  
       
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 18 avril 2024 
ISBN : 9782073061539, 176 pages, 22.77€

« On ne débat pas de telles idées, on les combat. Parce que la démocratie est une conversation entre gens civilisés, la tolérance prend fin avec l’intolérable. Quiconque sème la haine de l’autre ne mérite pas l’hospitalité d’une discussion. Quiconque veut l’inégalité des hommes n’a pas droit à l’égalité dans l’échange. La formule lapidaire de l’historien et résistant Jean-Pierre Vernant me convient : « On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages. » » p. 80
 
Hervé Le Tellier, président de l’Oulipo, (un groupe de recherche en littérature expérimentale), et lauréat du Prix Goncourt en 2020, revient avec un étonnant récit. Tout commence après l’achat d’une maison, dans la Drôme, qu’il veut « familiale ». Sur un mur de la façade, l’auteur découvre un nom gravé, puis, retrouve ce nom sur le monument aux morts du village : André Chaix. Ce jeune homme, manifestement maquisard, est mort à vingt ans, deux mois et trente jours. Le projet est né : Hervé Le Tellier veut découvrir et raconter son histoire. Il commence donc à se documenter, puis, un membre de la famille lui remet une petite boîte qui contient « tout ce qui reste » du bel André. C’est grâce à ces objets et documents, reproduits dans le livre, que les informations s’ajoutent et le récit se développe. L’auteur accepte ce « cadeau » et offre ainsi au lecteur l’histoire d’une courte vie. Cependant, faire revivre un jeune homme ne suffit pas, Le Tellier mène aussi son lecteur, à travers digressions, explications historiques et souvenirs personnels, à réfléchir sur le sens que l’on peut donner à ce tragique destin. Plongé dans cette époque, à travers les figures politiques et culturelles, les musiques, les films, le lecteur se passionne lui aussi pour André, et vibre, avec l’auteur, au son, en apparence léger, de cette fulgurante dénonciation de tous les fascismes.
Véronique Fouminet

Un homme sans titre, Xavier Le Clerc


Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 1er septembre 2022 et avril 2024 pour la traduction néerlandaise
ISBN : 9782072987885, 128 pages, 15.52€

« Yema, je ne l’ai jamais connue le ventre plat. Je ne me rappelle pas l’avoir vue un seul instant se reposer, toujours à cuisiner, nettoyer, étendre le linge, acheter de la viande et des légumes à crédit ou accoucher une énième fois. » p.53

Du 5 au 15 juin 1939, Albert Camus publie dans le journal L’Alger républicain, onze articles, illustrés par des photographies. Camus, qui a vingt-six ans, est outré par ce qu’il a vu en Kabylie. Il dit l’intolérable misère des Kabyles. Il dénonce les conditions de travail inacceptables, proches de l’esclavage, imposées par les colons. Il décrit la mort qui plane dans les campagnes. En 1939 Mohamed-Saïd Aït-Taleb a trois ans. Il vit en Kabylie, avec sa nombreuse famille, dans un dénuement quasi total. Mohamed-Saïd est le père de Xavier Le Clerc.
Un homme sans titre est un hommage de l’auteur rendu à ses deux pays mais, avant tout, un livre écrit en hommage à son père. Xavier Le Clerc raconte son enfance, une fratrie de neuf enfants, dominée par un père, digne, dur, parfois violent, et taiseux. Cet homme, qui quitte la misère de la Kabylie en 1962 pour une autre misère, celle des exploités et des sans-grades en France. Dans la société française de cette époque, il n’a ni statut, ni place, ou si peu, c’est « un homme sans titre » . Pourtant cet homme est, au yeux de son fils, un héros digne et magnifique. 
Le livre parle aussi de la transformation du jeune Hamid Aït-Taleb en Xavier Le Clerc, et de la difficulté de réussir pour ceux qui ne sont pas nés au « bon » endroit, ceux qui n’ont pas hérité de l’Habitus culturel et de classe qui donnent accès à la réussite sociale. Un superbe récit, d’une grande sensibilité, sur l’amour filial et la quête d’identité.
Pierre-Pascal Bruneau
Note : Nous recevons Xavier Le Clerc le vendredi 17 mai (voir détails de la soirée et inscription à la fin de la Lettre). 

Vallée du Silicium, Alain Damasio          

Albertine-Seuil
Date de parution : 12 Avril 2024     
ISBN : 9782021558746, 318 pages, 23.00€

« Des recherches pointues portent aujourd’hui sur l’interaction possible avec le cerveau, par une connexion physique ou chimique directe – notamment neuronale. Dans ce contexte, il y a pour moi quelque chose de noble et de jubilatoire [d’un peu ironique tant le matérialisme domine à la Silicon Valley] à considérer, comme Gregory Renard le fait, que le seul moyen réellement intelligent d’accéder au cerveau humain et d’interagir avec lui, la seule chose qui puisse s’y interfacer avec une finesse suffisante, c’est tout simplement… le langage. Bref… de discuter ! » p. 172
 
L’antenne de San Francisco de La Villa Albertine, établissement culturel de l’ambassade de France aux Etats-Unis, a eu la riche idée d’inviter en résidence Alain Damasio. Oui, riche idée de placer notre auteur de Science-Fiction, qui se définit lui-même comme techno-critique, en plein cœur du territoire des GAFAM et de leurs applications, des connexions en tous genres, sous le pouvoir de l’Intelligence Artificielle ! Le résultat est un livre passionnant, très personnel, entre essai et narration, dans lequel Damasio nous offre sept chroniques et une, très efficace, nouvelle inédite. Les chroniques soulignent à la fois les remarquables progrès technologiques et les dangers que ceux-ci représentent, écrites dans un style clair et alerte, dans une langue vive et créatrice. Pourfendeur du technocapitalisme et de ses « paramaîtres », l’auteur décrit avec brio ses propres expériences et réflexions. Il entremêle ses textes avec celles de Jean Baudrillard, Deleuze, Foucaud ou Michel Serres pour nous rappeler que, il y a trente ans déjà, les penseurs nous invitaient à ne pas abdiquer face au progrès. Il participe aussi aux questions du moment : une chronique sur deux est écrite au féminin pluriel, juste pour montrer « ce que ça fait d’être implicite » p. 314. Bref, les thèmes essentiels sont abordés : l’exploitation de l’humain, la présence du corps, la qualité des relations (quand elles ne sont pas des connexions), le rôle de l’éducation, la liberté de penser, la Liberté. Ce sont ces questions primordiales qui devraient préoccuper tous les utilisateurs que nous sommes afin de gagner réellement un mieux vivre grâce aux technologies et non un nouvel asservissement, au profit de quelques uns.
Véronique Fouminet

Je souffre donc je suis, Pascal Bruckner

Grasset, collection Essai
Date de parution : 13 mars 2024
ISBN : 9782246838005, 320 pages, 25.30€

« C’est un plaisir de conter les malheurs passés. C’est une joie d’être assis au chaud devant la nourriture et le vin et de se rappeler et de rappeler aux autres la peine, le froid et la faim. » Primo Levi, in Naufragés et rescapés, Arcades ,Gallimard, 1989, p.146, placé en exergue du chapitre 11, p.249 

Demander pardon, de façon récurrente, pour les crimes et exactions de nos aînés, de nos ancêtres, lorsque l’expression de ce pardon se traduit dans les faits par peu, ou pas grand chose, n’anéantit-il pas, finalement, la portée du pardon ? La banalisation du mal ne conduit-elle pas l’homme occidental, sur-protégé, sur-informé, à le désarmer, à le fragiliser, jusqu’à le rendre inapte à lutter contre les agressions futures qui viendront, n’en doutons pas, fracasser notre quotidien ?
Pascal Bruckner, avec virtuosité, montre combien l’horreur, et la souffrance qui en découle, peuvent-être salvatrices. Le confort et la sur-représentation des malheurs du monde, malheurs que l’on regarde de loin, blottis dans nos foyers, nous préparent mal aux combats futurs que nos démocraties vont, tôt ou tard, devoir mener. Dolorisme et complaisance, selon l’auteur, affaiblissent notre société.
Le thème de la souffrance a été traité par de nombreux essayistes, (voir notamment l’histoire de la souffrance, sur un plan collectif, d’Antoine de Baecque dans En d’atroces souffrances, éditions Alama, 2015) ou individuelle (voir Frédéric Badré, écrivain atteint de la maladie de Charcot mort à l’âge de 50 ans, La grande santé, Seuil, 2015). De même l’expression « Je souffre donc je suis », a déjà été utilisée par plusieurs auteurs, le plus souvent pour vilipender la tendance de nos sociétés au « narcissisme victimaire ». Mais dans ce nouvel essai, Pascal Bruckner, appuyant sa démonstration sur une impressionnante et précise érudition, va plus loin. Il nous dit que la souffrance est salutaire, voire nécessaire. Car, en la dominant, nous acquerrons le « courage d’endurer » qui nous permettra de faire face aux maux futurs, « aux temps de fer » que notre société ne manquera pas de connaitre. Un essai riche et pertinent à bien des égards qui donne à penser et à réfléchir à ce que nous sommes devenus et à ce que nous pourrions devenir.
Pierre-Pascal Bruneau

Théâtre et Cinéma

Héliogabale, drame en quatre actes de Jean Genet, édition de Francois Rouget

Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 4 avril 2024
ISBN : 9782073049032, 112 pages, 17.25€

 » HÉLIOGABALE (qui s’adresse à AÉGINUS) : En route, partons vers ce que ma grand-mère appelle la déchéance. Écoute la pluie qui tombe. Tu entends ? laisse-toi couler, emporté par la pluie. Nous n’existons presque plus. Il ne reste que nos cœurs. Écoute un secret. Aujourd’hui, je ne suis plus le soleil. Je suis donc sans défense. » 
Note : Genet choisi, a dessein, le participe passé et non l’infinitif pour le verbe « emporter ».

Incarcéré à la prison de Fresnes pour avoir volé des livres dans une librairie, Jean Genet y écrit son premier roman, Notre-dame-des-fleurs et son beau et long poème, Le Condamné à mort. C’est également à Fresnes qu’il écrit Héliogabale, une pièce dont l’existence était bien connue, mais considérée depuis toujours comme disparue. On sait, cependant, que Jean Cocteau l’avait lue et qu’il souhaitait confier le rôle-titre à Jean Marais, qui refusa. La pièce tomba alors dans l’oubli. Bien plus tard, en 1983, la Houghton Library, de l’université de Harvard, en fait l’acquisition. François Rouget, professeur à l’université Queen’s de Kingston, au Canada, la redécouvre et en propose la publication à Gallimard, c’est la présente et première édition. Elle est précédée d’une très complète présentation de sa main.
Nous sommes en 1942, Jean Genet a trente-et-un ans et n’a encore rien publié. Il est fasciné par la vie d’Héliogabale, jeune empereur romain, d’origine syrienne, qui vécut au IIIème siècle de notre ère. Les excès, le nihilisme, la folie du tyran, entrent en résonance avec sa propre vie. Il en fait donc le sujet d’une pièce qui raconte les dernières heures du jeune prince romain. Personnage sulfureux et théâtral, Héliogabale a également séduit Antonin Artaud, qui lui consacre, en 1934, un brillant essai intitulé Héliogabale ou l’anarchiste couronné. Artaud dans cet essai, dont J.M.G. Le Clézio dit  « Voici le livre le plus violent de la littérature contemporaine, je veux dire d’une violence belle et régénératrice.« , décrit un empereur dépravé, violent, vivant dans un empire en pleine décadence. On comprend dès lors ce qui a pu fasciner Genet. Héliogabale est un hédoniste pervers. Homosexuel, il prend pour amant Aéginus, un de ses jeunes cochers. Il refuse les ors et la pourpre, et, parce qu’il a honte de la misère qui règne dans l’empire, se vautre dans la déchéance.
La publication de cette œuvre est importante parce qu’elle annonce le grand dramaturge que deviendra Genet. La plupart des grands thèmes de ses pièces sont là : la désacralisation des institutions et des fonctions (Les bonnes, 1947, Le balcon, 1958) ou la beauté issue de la fange, le pur et l’impur, l’amour violent et déchirant (Les paravents, 1961). Saint Genet, comédien et martyr, tel que Sartre le désigne, sourd et perce sous le personnage d’Héliogabale. La pièce est aussi une superbe illustration de la langue de Genet, si originale et particulière, qui contribue grandement au génie de ses œuvres. Une magnifique découverte, essentielle pour tous ceux qui aiment Jean Genet.
Pierre-Pascal Bruneau

À nos amours, un florilège des actrices et des acteurs français, Gilles jacob, Marie Colmant et Gérard Lefort

Calmann Levy et Grasset
Date de parution : 24 avril 2024
ISBN : 9782702187593, 700 pages, 29.80€

Le festival de Cannes va bientôt ouvrir ses portes. Actrices et acteurs, devant une nuée de photographes, vont monter les célèbres marches du Palais des festivals. Pour les passionnés de cinéma, Gilles Jacob, l’incontournable Délégué Général, puis Président, du festival, et deux complices journalistes, ont assemblé un (énorme, 700 pages!) florilège des actrices et des acteurs du cinéma français: un régal !
Pierre-Pascal Bruneau

Les monstres sacrés, les stars, les noms « au-dessus du titre » sur l’affiche, les seconds rôles, les troisièmes couteaux… Autant d’espèces d’acteurs et d’actrices qui nous font rêver. Aux personnages qu’ils font vivre par procuration, ils offrent leur physique, leur comportement, leurs sentiments, leur voix, leur mentalité, jusqu’à leurs petites manies.
 
Plusieurs générations d’entre eux figurent dans ce recueil avec leur portrait, leur histoire, leurs films. Parmi les disparus, il en est qui ont survécu à l’oubli. D’autres se sont évaporés malgré leurs mérites. Il était temps qu’ils resurgissent. Enfin, de nouveaux venus sont apparus, à la carrière en devenir.
 
Il ne s’agit pas ici d’un dictionnaire mais plutôt d’une ode à trois voix évoquant en toute subjectivité des artistes choisis et estimés. Et leur existence, leur itinéraire couvrant l’histoire du cinéma français (et même francophone), de la naissance du film parlant à nos jours.

Bandes Dessinées
Petit Pays, adaptation du roman de Gaël Faye par Marzena Sowa (texte co-écrit avec Gaël Faye) et Sylvain Savoia (illustration)

Dupuis
Date de parution : 12 avril 2024
ISBN : 9791034737369, 128 pages,29.90€

Nouveauté !
Une juste et belle adaptation du très célébré Petit pays de Gaël Faye, qui raconte l’histoire du génocide des Tutsis par les Hutus, au Burundi, ce « petit pays », par le regard d’un enfant de dix ans dont le père est français et la mère rwandaise.
Pierre-Pascal Bruneau

Exilés au Burundi, Gaby et Ana, enfants métis franco-rwandais, voient leur quotidien joyeux bousculé par la guerre civile. Alors que leur famille se déchire, le génocide des Tutsi au Rwanda voisin vient mettre un terme à leur innocence. D’ailleurs, déjà à l’école, Gaby assiste à une bagarre entre un Tutsi et un Hutu, que rien ne semble pourtant séparer si ce n’est – d’après son père – la forme de leur nez… Mené par Marzena Sowa et Sylvain Savoia, l’adaptation du best-seller à résonance autobiographique de Gaël Faye – prix Goncourt des lycéens 2016 – qui a lui-même choisi les auteurs de Marzi parmi les nombreux projets présentés. Aussi magnifique que poignant. (Note de l’éditeur)