
De Annie Ernaux
Dans « Mémoire de fille », paru au mois d’avril en Collection Blanche chez Gallimard, Annie Ernaux scrute, analyse, avec une incroyable acuité, les sentiments complexes et contradictoires qu’une adolescente, “femme” en devenir, vit et ressent au plus profond de son corps. Comme notre petit Marcel, Annie Ernaux, dans un style en tout différent, nous fait pourtant aussi fortement ressentir les troubles de l’âme, comme si nous étions nous mêmes son personnage. Cette sensation que « la réalité des autres » peut submerger, que l’on peut être emporté « dans le désir et la volonté d’un seul autre », nous l’avons probablement tous, à un moment de notre vie, ressentie. Avec « Mémoire de Fille », Annie Ernaux change la consistance de simples souvenirs, décors sans âme, en sensations vivantes et fortes. Il s’agit ni plus ni moins du processus “d’incarnation” décrit par Michel Henry, philosophe chrétien, disciple d’Edmund Husserl, philosophe allemand idolâtré par Jean-Paul Sartre . Selon Michel Henry, » la chair seule nous permet de connaitre le corps ». Il ne s’agit pas, bien entendu, de la chair au sens matériel, biologique du terme, mais de la conscience physique d’une sensation. Par la magie des mots d’Annie Ernaux, le souvenir n’est plus un simple décor, distant et sans consistance, mais devient réalité, un “revécu” proche du processus de mémoire involontaire Proustien. C’est bien là la réussite du livre d’Annie Ernaux.
(La Lettre du Temps Retrouvé, mai 2016)
ISBN: 978-2070145973
Éditeur: Éditions Gallimard
Date de publication: 01/04/2016
Nombre de pages: 160