
Les soixante-quinze feuillets
de : Marcel ProustEt bien oui, ces célèbres 75 feuillets (76 en réalité) existent bel et bien. Ce sera dans les archives, soigneusement classées et rangées, de Bernard de Fallois que Nathalie Mauriac découvrira la sainte relique. Nathalie Mauriac, petite-fille du grand François Mauriac, fille de Claude Mauriac (fils de François) et arrière-petite fille de Marcel Proust, a été chargée par Gallimard de classer et d’analyser le précieux fonds Proust de la succession de Bernard de Fallois. Contrairement aux autres manuscrits de Marcel Proust donnés par son frère Robert à la Bibliothèque Nationale, ces fameux feuillets étaient, jusqu’au décès de Bernard de Fallois, considérés comme disparus.
C’est André Maurois qui suggéra à la fille de Robert Proust, héritier et exécuteur testamentaire de son frère Marcel, de confier les archives du fonds Proust à Bernard de Fallois, alors jeune et brillant agrégé de lettres, avec pour mission de les classer et de préparer pour une éventuelle publication ce qu’il jugerait utile d’éditer. André Maurois rapporte qu'”Elle lui remit […] des caisses de feuillets épars, déchirés, qui au moment de la mort de Marcel étaient au garde-meuble”…
En 1952, Bernard de Fallois, a alors 26 ans, il est ainsi responsable de la publication de Jean Santeuil, le premier roman, inachevé, de Marcel Proust. Deux années plus tard, il rassemble plusieurs textes de Proust et les publie sous le titre Contre Sainte Beuve, vive et intelligente réfutation de la méthode critique de Sainte Beuve et vibrant plaidoyer en faveur de Balzac qui avait précisément été éreinté par celui-ci. Bernard de Fallois fera pour la première fois allusion à ces 75 feuillets dans la préface de Contre Sainte Beuve.
Pourquoi sont-ils si intéressants, ces 75 feuillets ?
Nous sommes à la fin de 1907, Proust n’a pas écrit de roman depuis Jean Santeuil dont il a interrompu brusquement la rédaction en 1899. Sa mère est morte en 1906 et Proust met plus d’une année à se remettre de la torpeur dans laquelle ce drame l’a plongé. Il a certes écrit des oeuvres capitales pour notre compréhension de À La Recherche du temps perdu comme Sentiments filiaux d’un parricide ou encore Mort d’une grand-mère, mais il ne s’est pas encore attelé à son grand oeuvre. Dans ces feuillets, nous dit Jean-Yves Tadié, dans une courte et belle préface, Proust se livre à “un monologue sans fin, (qui) est celui de la confession, de l’autobiographie, non du roman”. Ici, pas encore de mécanisme de la mémoire involontaire, pas de transposition ni de composition, tous les personnages portent leur vrai nom. Alors nous éprouvons à la lecture de ces feuillets comme un sentiment d’impudeur, comme si Proust nous dévoilait ses souffrances, souffrances d’un petit enfant incroyablement sensible et pourtant d’une ténacité prodigieuse, comme si l’on découvrait le clown ou le comédien en train de se maquiller, de s’habiller avant d’entrer en scène. La découverte de ces 75 feuillets nous donne à voir l’envers du décor. Si le plus souvent cela détruit les impressions et le rêve nés de la lecture, ces 75 feuillets, au contraire, en nous dévoilant un Proust intime, soulignent avec force le génie et la puissance de cette oeuvre unique qu’est À la recherche du temps perdu.
Pierre-Pascal Bruneau (La Lettre du Temps Retrouvé, juin 2021)
22.89 €
ISBN: 9782072931710
Éditeur: Gallimard, Collection Blanche
Date de publication: 1er avril 2021
Nombre de pages: 384