Soirées littéraires
Tout d’abord, nous avons le plaisir de vous annoncer que nous allons recevoir plusieurs auteurs, dans les mois à venir, comme toujours, en association avec la fondation L’Échappée Belle. Des informations complètes sur ces événements et les liens de réservation suivront dans les semaines à venir :
– Pierre Assouline ; le jeudi 3 juillet pour parler de son dernier livre, L’annonce et de beaucoup d’autres choses, et
– Sandrine Collette ; en septembre (date exacte à préciser) à propos de son dernier livre, Madelaine avant l’aube, qui a reçu le Prix Goncourt des lycéens en 2024.
La Lettre
Nous avons, en préparation de sa venue, lu et aimé le dernier livre d’Adrien Bosc, L’invention de Tristan, une biographie romancée de Tristan Egolf, brillant auteur américain disparu en 2005 à l’âge de 33 ans. Karine Tuil, après Choses humaines, publié en 2019, nous revient avec un roman sur l’emprise et la domination masculine dans le monde du cinéma. Un coup de coeur, ce mois-ci, pour l’écrivain ukrainien, Andreï Kourkov, avec la revue de son conte drolatique, Le pingouin. Ne manquez pas de lire Tiré de faits irréels, le dernier livre de ToninoBenacquista, un réjouissant roman sur le monde de l’édition et ses travers.
Nous vous recommandons aussi plusieurs essais dont le dernier livre de Giuliano da Empoli, L’heure des prédateurs, paru au début du mois d’avril et déjà en réédition après avoir franchi en quelques semaines plus de deux cent mille exemplaires vendus. Loin de la politique et du tumulte des villes, Sylvain Tesson n’en finit pas de grimper, avec cette fois un tour du monde des piliers de pierre, d’Étretat au Cap Horn. Et puis une puissante biographie de Jacques Benoist Méchin par Éric Roussel, auteur des biographies de référence, entre autres, du Général de Gaulle et de Georges Pompidou.
Pour les petits et les plus grands, Véronique Fouminet a sélectionné plusieurs livres et en particulier une série de romans de Vincent Cuvelier qui a reçu le Trophée spécial de l’auteur jeunesse 2025 au Festival du Livre de Paris cette année et pour finir des recommandations de quelques nouveautés en bandes dessinées.
Voila de quoi vous distraire, et même de vous passionner, alors bonne lecture !
Romans / Nouvelles
La guerre par d’autres moyens, Karine Tuil
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 6 mars 2025
ISBN : 9782073072764, 384 pages
» Il se leva, prit une douche. Quand il sortit, il vit qu’il avait reçu cinquante mails : le film faisait partie des treize sélectionnés à Cannes en compétition officielle. Il hurla de joie. Il hurla si fort que son voisin frappa à la porte :
– Tou va bien Romain ?
– Oui, oui. Je n’ai jamais été aussi heureux de toute ma vie. » p.183
Les Choses Humaines (Gallimard, Prix Interallié et Prix Goncourt des Lycéens), paru en 2019, est le fruit d’un travail de plus de deux années, pendant lesquelles Karine Tuil a étudié de nombreux procès verbaux d’audition en commissariat de victimes de viol, des compte-rendus de procès d’assises et le témoignage de victimes. Le roman souligne aussi combien la domination masculine fait partie de nos codes sociaux et combien il est difficile, pour les femmes qui en sont victimes, de faire entendre leur voix.
La Guerre par d’autres moyens, le nouveau livre de Karine Tuil, reprend ces thèmes. Le roman décrit les destins croisés d’un ancien président de la république, alcoolique et en disgrâce, d’une actrice cinquantenaire, d’un metteur en scène tyrannique et égocentrique, d’une jeune actrice sous la domination dudit metteur en scène et celui de l’ex femme du président déchu. L’histoire du président alcoolique n’est pas particulièrement intéressante. En revanche l’analyse des rapports de domination dans le monde du cinéma, sujet très actuel, est convaincante. Un roman réussi, qui décrit bien les moeurs et usages d’un milieu en pleine tourmente depuis qu’il a été percuté par la vague Metoo#, et qui séduira les fidèles de Karine Tuil.
Pierre-Pascal Bruneau
Tiré de faits irréels, Tonino Benacquista
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 6 Mars 2025
ISBN : 9782073024961
« – Il faut que je vous raconte une anecdote. Au salon du livre de Paris, je vous ai vu participer à une table ronde (…) Le modérateur, qui voulait d’emblée élever le débat, vous a posé une question qu’il lue in extenso, une question longue, amphigourique et compliquée (…) Quelque chose du genre : « Vous semble-t-il possible de préserver l’aspect essentiel de la littérature en tant qu’expression esthétique et culturelle en tenant compte des relations conflictuelles qu’entretiennent l’art, l’économie et la politique ? »
Aucun souvenir. Mais il serait malvenu de l’interrompre. (…)
– Non…
– Eh bien voilà ce que vous avez répondu : NON. Pas un mot de plus ! (…) Tout le monde a applaudi ce providentiel NON ! p. 90
Tonino Benacquista nous invite dans les coulisses du monde de l’édition. Après un prologue en hommage à la littérature, créée par Dieu pour « éveiller l’Homme à la beauté naturelle qui l’entourait », le récit à la première personne s’ouvre immédiatement sur un constat d’échec : le lendemain, Bertrand Dumas ne sera plus éditeur. Cela fait pourtant quarante ans que, amoureux du beau texte, il publie des romans qu’il aime, d’auteurs qui le touchent. Manifestement, ses goûts ne rencontrent plus le public et la faillite est inévitable. Inévitable ? Il lui reste vingt-quatre heures ! Il va tout tenter pour sauver une certaine idée de la littérature. Il part donc à la rencontre des ses donateurs, ses auteurs… En même temps, l’éditeur plonge dans ses souvenirs, les manuscrits refusés, perdus, les succès, les 641 titres de son catalogue. Cela permet à l’auteur d’insérer des « citations », extraites à la fois du catalogue et des refusés, ce qui est un très amusant procédé ! Et le lecteur se régale de cette belle galerie de portraits, de situations qui oscillent entre comédie et tragédie. Benacquista, fidèle à lui-même, nous livre un récit aussi lucide qu’amusé du monde littéraire : les prix, les passages télé, les réseaux sociaux, les séances de dédicace, les salons, les trahisons, les jalousies… une belle comédie humaine !
Evidemment, les propos de l’idéaliste Bertrand Dumas sont l’occasion pour l’auteur de redire son amour des Lettres et du romanesque. Mais, l’ultime rendez-vous doit avoir lieu au tribunal du commerce ; ultime, vraiment ?
Véronique Fouminet
L’invention de Tristan, Adrien Bosc
Stock, collection La Bleue
Date de parution : 16 avril 2025
ISBN: 9782234099395, 256 pages
Beaucoup d’entre vous se souviennent de Constellation (Stock, Grand prix du roman de l’Académie française 2014), un récit sur le tragique accident d’avion, survenu en octobre 1949, dans lequel tous les passagers, parmi lesquels Marcel Cerdan et la violoniste virtuose Ginette Neveu, et l’équipage, périrent.
Le nouveau livre d’Adrien Bosc pourrait s’intituler, « D’après une histoire vraie », mais le titre est celui d’un roman de Delphine de Vigan, roman qui parle aussi d’écrivains, de littérature et du monde de l’édition. Tristan, le personnage central du livre a réellement existé. Il s’agitde l’artiste américain Tristan Egolf, dont la vie est un vrai roman. Musicien, il joue avec plusieurs groupes Punk. Il est aussi, et surtout, écrivain. Son livre, Le seigneur des porcheries, est refusé par soixante-dix maisons d’édition aux États Unis. Dépité, déçu, il s’installe à Paris en 1996, et c’est là où le conte de fées commence. Il rencontre Marie Modiano (la fille de) qui lit son livre et qu’elle adore, au point qu’elle le propose à Gallimard… qui le publie immédiatement. Nous sommes en 1999. Le succès est tel que le roman est traduit dans plusieurs langues. Le Seigneur des porcheries est alors enfin publié aux États Unis où il est célébré, la critique comparant Tristan Egolf aux auteurs de la Génération Perdue.
Adrien Bosc s’empare de cette incroyable histoire. Il imagine que le jeune auteur américain, inconnu et sans le sou, tombe amoureux de la fille du célèbre écrivain. Il imagine aussi, et après tout c’est peut-être bien ce qui s’est passé dans la réalité, que c’est cet écrivain célèbre qui tombe par hasard sur le manuscrit et qui, séduit par le récit, le transmet à son éditeur. Très habilement, Adrien Bosc mêle faits avérés et romanesque, en faisant mener l’enquête par Zachary Crane, un jeune journaliste au très chic magazine The New Yorker. Zachary tombe ainsi par hasard, lors d’un séjour à Paris, sur un exemplaire du Seigneur des porcheries. Le jeune homme, fasciné par le livre et son auteur, tente alors de reconstituer la vie de Tristan Egolf, mort, à l’âge de trente-trois ans, en 2005. Un récit passionnant sur le monde de l’édition, un conte touchant, élégamment écrit, qui raconte la vie d’un vrai personnage de roman.
Pierre-Pascal Bruneau
De son sang, Capucine Delattre
Éditions La ville brûle
Date de parution : 10 janvier 2025
ISBN : 9782360120871, 234 pages
» Non, c’est par renoncement que vous l’avez eu. Parce que c’est ce qu’on fait, parce que votre mari le voulait, parce que maman insistait et parce que vous aviez envie d’un peu de validation facile. Ou en tout cas, vous aviez encore moins envie du jugement et des questions que de vous faire démolir le périnée. » p.155
En 1980, Elisabeth Badinter publie L’amour en plus : Histoire de l‘amour maternel, XVIIe – XXe(Flammarion). Fort critiqué à l’époque, la philosophe y démontre, en s’appuyant sur les ouvrages de chercheurs et d’historiens, que l’amour maternel est un produit de la société et non un élément intrinsèque, inné, qui serait propre à toutes les femmes. Depuis le XVIIe siècle, l’amour maternel aurait ainsi été inexistant pour beaucoup de mères, notamment dans les familles de la bourgeoisie. Indifférentes à leurs enfants, elles ne seraient intéressées (ou pas) qu’à l’individu social en devenir qu’ils représentent.
Capucine Delattre, est la jeune autrice d’Un monde plus sale que moi (La ville qui brûle, 2023 et Points, 2025),un roman sur la prise de conscience des jeunes filles d’aujourd’hui, celles de l’après Metoo#, de ce que le comportement de certains garçons, en apparence normal, constituerait aussi un viol aux conséquences aussi dévastatrices qu’une agression avec violence.
Avec De son sang, l’autrice reprend le thème développé par Elisabeth Badinter, en adoptant la forme du roman. Sabine, l’héroïne du livre, qui a bientôt cinquante ans, a eu son fils tardivement. Elle n’est ni mentalement dérangée, ni dépressive. Pourtant, elle n’aime pas son fils. Elle a bien essayé d’être une bonne mère, mais, malgré tous ses efforts, elle n’y arrive pas. Téo, qui a six ans, lui est indifférent et le petit garçon lui rend bien. Sabine culpabilise. Son entourage, soit la regarde comme un monstre, soit la plaint. Pourtant sabine se sent très bien et parfaitement normale, et lorsque finalement, elle obtient que Yannick, son ex mari, ait la garde de l’enfant, c’est pour elle un immense soulagement. Et puis, sans y prendre garde, voila que Sabine ressent pour le fils d’une de ses amies, une compréhension, une attirance, qui ressemble à s’y méprendre à l’amour d’une mère pour son fils. Dans Frappe-toi le coeur (Albin Michel, 2017), Amélie Nothomb décrivait la préférence d’une mère pour l’amie de sa fille et la difficulté pour ladite fille de survivre à l’absence d’amour de sa mère. Mais Sabine, contrairement au personnage d’Amélie Nothomb, fait tout son possible pour être une bonne mère. Le roman, écrit dans un style et une langue très contemporaine, est très intéressant parce que précisément Sabine est quelqu’un sans pathologie psychologique particulière. Progressivement, certaines femmes de son entourage, mères parfaites en apparence, osent confesser la difficulté qu’elles ressentent à aimer leur enfant. Et puis, parce que c’est un roman, Sabine va commettre quelque chose d’improbable et de répréhensible.
Elisabeth Badinter et Capucine Delattre auraient-elles raison ? Un roman très actuel, non polémique, pertinent et souvent drôle.
Pierre-Pascal Bruneau
Le Pingouin, Andreï Kourkov, traduction de Nathalie Armagier
Éditions Lina Levi, collection Piccolo (également chez Points)
Date de parution : 1er mars 2000
ISBN : 9782867463976
» Micha, le pingouin, se promenait dans le couloir sombre, cognant de temps à autre à la porte fermée de la cuisine. Victor finit par se sentir coupable et lui ouvrit. Il s’arrêta près de la table. Haut de presque un mètre, il parvenait à embrasser des yeux tout ce qui s’y trouvait. Il fixa d’abord la tasse de thé, puis Victor, qu’il examina d’un regard pénétrant, comme un fonctionnaire du Parti bien aguerri. Victor eut envie de lui faire plaisir. Il alla lui préparer un bain froid. » pp. 12 et 13
J’ai découvert, il y a peu, un formidable auteur, l’écrivain ukrainien, Andreï Kourkov. J’ai d’abord lu et adoré L’oreille de Kiew et Le Cœur de Kiew, puis l’envoûtant Les abeilles grises (Prix Médicis 2014, la plupart des romans d’Andreï Kourkov sont publiés aux éditions Lina Levi, collection Piccolo et chez Points pour les formats poche) et cela m’a donné grande envie de lire son premier roman publié en 1996 (2000 pour la version française), qui l’a rendu célèbre : Le pingouin.
Nous sommes en Ukraine, dans les années quatre-vingt-dix, en période post-soviétique. Le zoo de Kiew, qui vient de faire faillite, n’a plus les moyens de nourrir et soigner ses animaux. Il en fait donc don à qui souhaite en adopter. Victor Zolotarev, journaliste au chômage et aspirant écrivain, seul au monde et dépressif, choisit d’adopter un pingouin pour rompre sa solitude. Le pingouin s’avère aussi dépressif que son nouveau maitre et les premiers jours sont difficiles. Jusqu’à ce que surviennent deux événements majeurs qui vont bouleverser la vie de Victor. À la suite d’un concours de circonstances, il se retrouve à avoir la charge d’une petite fille qui se prend d’affection pour Micha le pingouin. Concomitamment, le rédacteur en chef d’un important journal lui confie une étrange mission: écrire par avance la nécrologie de personnalités politiques et du monde des affaires. Ce travail s’avère lucratif et stimulant. Pourtant ses articles semblent avoir des effets et des conséquences pour le moins inattendues.
Le pingouin est, sous les dehors d’une fable drolatique, une vive critique de l’Ukraine pendant la période post soviétique. Dans ces années là, c’est un pays où les politiques, corrompus, pactisent avec une mafia toute puissante. Victor évolue dans cet univers, violent et dur, avec l’innocence du naif qui ne comprend pas grand chose au monde qui l’entoure. Une jeune femme vient se joindre à cette petite famille bizarre dont Micha, le pingouin, est le centre de gravité. Une fable drôle, qui tourne en dérision les situations les plus tragiques, un réjouissant roman roman dans la grande tradition de Nicolaï Gogol et de Tchekhov : à lire sans attendre.
Pierre-Pascal Bruneau
Essais /Biographies
L’heure des prédateurs, Giuliano Da Empoli
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 3 avril 202
ISBN : 9782073113207, 160 pages
« A la réflexion, il n’y a rien d’étrange à ce que MBS soit la réincarnation de César Borgia à cinq siècles de distance, puisque le moment que nous vivons est, lui aussi, machiavélien. A l’époque de Leonard de Vinci, le secrétaire florentin sonne le glas des illusions. » P. 61
» En revanche, fréquentant la politique, j’ai développé une certaine compétence en matière de stupidité naturelle. Et quand on pense à l’avenir de l’intelligence artificielle, force est d’admettre qu’elle ne va pas que renforcer l’intelligence humaine, elle va aussi renforcer notre stupidité. «
p. 132
Dans Les ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019), Giuliano da Empoli décrit avec brio quels sont les méthodes utilisées par les mouvements populistes dans le monde entier pour, en manipulant les foules et en organisant, de façon scientifique, le chaos, prendre le pouvoir. L’heure des prédateurs, son nouvel essai, montre comment, quelques années plus tard, les populistes ont pris le pouvoir, en utilisant des méthodes connues depuis le quinzième siècle, du temps de Cesare Borgia et de Machiavel, mais mise en œuvre grâce aux moyens surpuissants de la technologie moderne. Personne ne s’est méfié des « startupeurs de la Silicon valley (…) gentils jeunes hommes en sweat à capuche, (…) personne ne s’est préoccupé de mettre un frein au pouvoirs des entreprises de la tech« . Dans un entretien à propos de son livre, avec Nicolas Truong du Monde, Giuliano da Empoli déclare : « La logique est toujours la même. Il s’agit d’effectuer trois opérations simples : identifier les sujets chauds et les fractures qui divisent l’opinion publique ; pousser, sur chacun de ces fronts, les positions les plus extrêmes et les faire s’affronter ; projeter l’affrontement sur l’ensemble du public an de surchauffer l’atmosphère. » L’analyse et les constats de Giuliano da Empoli font froid dans le dos. Pourtant l’auteur nous enjoint à ne pas baisser les bras. Les démocraties se sont laissées débordées par ce raz de marée technologique sur lequel ont surfé quelques oligarques de la tech pour porter au pouvoir les Trump, Bolsonaro et autres dirigeants populistes. Pourtant, nous disposons des moyens pour contre-attaquer. Il ne s’agit pas de s’opposer au progrès et aux machines, cela n’a aucun sens, nous dit Giuliano da Empoli. Il faut au contraire parvenir à maitriser les technologies nouvelles afin que les démocraties soient capables de retirer aux « oligarques opaques » le pouvoir absolu de les contrôler. Les derniers mots du livre son évocateurs : « La lutte continue« .
Pierre-Pascal Bruneau
Professeur à Sciences Po et auteur du Mage du Kremlin en 2022, Giuliano da Empoli publie L’Heure des prédateurs. Le livre s’ouvre sur le débarquement de Cortés dans l’Empire aztèque, le narrateur est donc un scribe aztèque qui tente de rendre compte du moment historique. Pourquoi les Aztèques ? Parce que, à notre époque, les conquistadors sont les as de la Tech auxquels les responsables politiques se sont soumis, espérant de magiques retombées sur eux-mêmes. Ce procédé permet à l’auteur de raconter une série d’épisodes historiques, auxquels il a parfois assisté lui-même, parmi les grands ce monde, de New York à Berlin, principalement en 2024, mais aussi à Paris en 1931 ou Rome en 1998. Le propos, dans un style élégant souvent teinté d’ironie, est clair : Giuliano da Empoli invite les lecteurs à comprendre comment, au fil de l’histoire et depuis son accélération contemporaine, les puissants n’ont eu de cesse d’influencer, de jouer sur les peurs et les frustrations de leur public. Les ingénieurs de la Silicon Valley leur offrent une incroyable et implacable machine de guerre. Que faire ? Il reste sans doute la culture classique pour comprendre et ceux que l’essayiste regroupe comme le « parti des avocats », ceux qui croient encore aux valeurs et aux régulations ; malheureusement, il les juge bien trop faibles. Certes, le public a souvent l’intuition de tout cela, mais lire noir sur blanc les détails réels est quelquefois glaçant. Face à cette sidération, à ce sombre tableau, le scribe aztèque laisse cependant entrevoir qu’une réaction est possible puisque, finalement, les ressorts sont connus et qu’il nous reste le choix de rester vigilants face à ce qui ne devrait être qu’un outil.
Véronique Fouminet
Les piliers de la mer, Sylvain Tesson
Albin Michel
Date de parution : 2 avril 2025
ISBN : 9782226491329, 224 pages
» Chaque jour, nous roulons, marchons, nageons, grimpons. Le mouvement est le grand pardon de l’homme. Épuisé, il devient bon. Heureusement, Dieu, en créant l’homme, sa créature du diable, avait prévu la fatigue. » p.99
Sylvain Tesson n’en finit pas de marcher et surtout de grimper. Cette fois il s’attaque aux aiguilles de roche, « piliers de la mer » ou Stack en anglais. Il s’agit de monolithes, sorte de tours de pierre, que la mer a séparées de la terre. Ces piliers marquent l’érosion de la terre et le recul inexorable des côtes mangées, jour après jour, par la mer. La plus célèbre d’Europe est bien sûr l’Aiguille Creuse d’Étretat, que notre écrivain grimpeur s’est empressé de gravir, mais il en existe des centaines d’autres. Du Nord au Sud et d’Est en Ouest, Sylvain Tesson a parcouru le monde pendant deux ans et en a escaladé cent-six. Il nous raconte cette incroyable épopée. Le plus souvent bravant le froid et les intempéries, il nous fait partager sa passion pour la grimpe mais aussi son constant désir de fuir la civilisation afin de se retrouver seul (toujours accompagné d’un copain guide et d’un photographe) face à la nature. Ses références littéraires, nombreuses, ne sont jamais pédantes et viennent toujours fort à propos. Sylvain Tesson comme Jack London ou comme Kessel est un des derniers aventuriers, un des derniers « découvreurs », de lieux inviolés par l’homme, ou s’ils l’ont été (beaucoup de ces stacks, nous dit Sylvain Tesson, ont déjà été découverts), bien peu nombreux sont ceux qui s’y sont frottés. Un livre salutaire, loin de la « tech » omniprésente et du chaos si puissamment évoqués par Giuliano da Empoli dans son dernier livre (voir notre revue ci-dessus).
Pierre-Pascal Bruneau
Jusqu’au bout de la nuit – Les vies des Jacques Benoist-Méchin 1901-1983, Éric Roussel.
Perrin
Date de parution : 6 mars 2025
ISBN : 9782262099763, 416 pages
Éric Roussel, excellent biographe, entre autres, du général de Gaulle, de Pierre Mendès France ou de Georges Pompidou, consacre son dernier livre à Jacques Benoist-Méchin. Homme politique et écrivain d’extrême droite, historien, il sera condamné à mort en 1947 pour actes de Collaboration. Gracié, il passera près de vingt années en prison. Une biographie fascinante qui montre avec précision et objectivité comment un intellectuel brillant, grand historien, mesuré et réfléchi, peut basculer irrémédiablement dans l’inacceptable. Jacques Benoist-Méchin, dès la signature de l’armistice rejoint le régime de Vichy et collabore avec l’occupant nazi. Il le fait par conviction et patriotisme, mais aussi parce que, en avance sur son temps, il rêve d’une Europe Nouvelle, d’une Europe des nations. Jacques Benoist-Méchin a tout pour devenir comme son père, un grand commis de l’État. Stanislas Lucien Alfred Gabriel Benoist, son père, est baron d’empire, explorateur et aventurier. Il parcourt le monde pendant cinq années, diplomate français en Chine, il disparaitra prématurément après avoir dilapidé la fortune familiale. Jacques, son unique enfant, doit donc travailler pour subvenir à ses besoins. Intellectuellement brillant, parlant plusieurs langues, il connait le grec et le latin. Il est aussi musicien et se lie avec plusieurs grands compositeurs de son temps. Proche de Sylvia Beach et d’Adrienne Monnier, il rencontre Joyce, Paul valery et de nombreux grands écrivains de cette époque. Pacifiste convaincu, comme Giono, il exprime très tôt le vif souhait d’une réconciliation franco-allemande. Il ne cache pas son admiration pour l’Allemagne, son histoire et son dirigeant. En 1939, il va même jusqu’à publier un livre intitulé Éclaircissements sur Mein Kampf, dans lequel il décrit Adolf Hitler comme « un visionnaire qui a décidé de réaliser son rêve avec le réalisme d’un homme d’État ». Dès 1940, Jacques Benoist-Méchin déclare : « Un pays vaincu a le choix d’être soumis à son vainqueur ou d’être avec lui ; je choisis d’être avec lui ». L’Histoire a montré combien il s’est fourvoyé. Condamné à mort à la libération, il est gracié par Vincent Auriol, alors président de la République. La peine de mort commuée en travaux forcés à perpétuité, il passera une vingtaine d’années en prison. Historien respecté et admiré, notamment pour son Histoire de l’armée allemande, dont de Gaulle lui même demandera la réimpression, il se passionnera pour l’histoire du monde arabe et en deviendra l’un des meilleurs spécialistes. Sa série de biographies sur la dynastie Saoudienne et sur Mustafa Kemal Atatürk, ou son livre Un printemps arabe (1959) font, encore aujourd’hui référence. De même, sa trilogie, Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (1956), qui décrit la conquête de l’Europe par Hitler, de mai à juillet 1940, est utilisée par les historiens contemporains spécialistes de cette période. Une biographie passionnante, exhaustive, et sans complaisance, d’un des importants protagonistes de la Collaboration, qui donne un éclairage nouveau sur cette période sombre de notre histoire.
Pierre-Pascal Bruneau
Roman Policier
Les aventures de Thomas More – Les enfants perdus, François Sureau
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 10 Avril 2025
ISBN : 9782073086778
» Ils parcoururent la ville sous un soleil froid, qui ne réchauffait guère le troupeau serré des maisons pâles et hautaines et ne s’attarda pas dans le ciel. Dans le jardin de la chapelle des Templiers, un prêtre enseignait le catéchisme à une douzaine d’enfants en pèlerine noire, immobiles sous le vent, piqués comme d’autres plants de buis. More lui ayant dit quelques mots, il invita les deux voyageurs à dîner. Seligmann était content de ce don qu’avait More d’être reçu partout. » p.114
Après le festival Quais du polar, début avril, et les multiples propositions tout au long de ce mois, devenu « mois du polar », de quel auteur allais-je vous parler ? De Morgan Audic, lauréat en 2024, dont l’implacable et sauvage Personne ne meurt à Longyearbyen sort en poche ? Ou de Gwenaël Bulteau, de Cédric Sire, de Colin Niel, lui aussi lauréat de nombreux prix ? Ou alors de Cyril Carrère, pharmacologue devenu écrivain, qui vit à Tokyo et dont l’excellent La colère d’Izanagi sort aussi en poche ? Ou de Jean-Christophe Rufin qui nous offre une nouvelle enquête d’Aurel le Consul ? Difficile de choisir tant l’offre est variée. Puis, arrive dans nos livraisons : Les aventures de Thomas More – Les enfants perdus. Voilà un titre bien tentant… et, oh surprise ! l’auteur est François Sureau, homme aux nombreuses vies, désormais Académicien, dont on aime la littérature élégante et l’esprit vif.
Le roman s’ouvre en 1870, après la bataille de Sedan ; deux gendarmes découvrent un cadavre, près de la rivière, qui, manifestement, n’a rien à voir avec cette guerre. Il faut en référer. C’est alors que le lecteur rencontre Thomas More (oui, c’est son nom…), ancien commissaire spécial à la Sûreté. Il s’apprête à mener l’enquête, mais, le voilà convoqué par Guillaume 1er lui-même, roi de Prusse et vainqueur qui a besoin d’un esprit vif et libre pour mener une enquête discrète. Toujours accompagné du fidèle gendarme Adjudant-chef Martineau et de l’intendant Seligmann, More, fin observateur et connaisseur des comportements humains, résout ce mystère… et deux autres encore !
Ce bel hommage aux enquêteurs d’autrefois, l’érudition joyeuse et le style élégant font de ce premier volet une belle réussite. François Sureau a déjà annoncé que les suites sont prêtes !
Véronique Fouminet
Jeunesse – Les choix de Véronique Fouminet
Une série de Vincent Cuvellier, Guillaume Bianco, des romans illustrés pour les enfants de 9 à 12 ans
Éditons Little Urban
Elisabeth sous les toits
ISBN : 9782374085883
Alexandre sur les flots
ISBN : 9782374086651
Madeleine sous la ville
ISBN : 9782374080628
Lors du dernier Festival du Livre de Paris, le Trophée spécial de l’auteur jeunesse de l’année 2025 a été attribué à Vincent Cuvellier. A cette occasion, nous vous invitons à (re)découvrir la saga historique qui s’adresse aux jeunes lecteurs, à partir de 9 ans.
Tout commence avec Elisabeth sous les toits, paru en 2023. Nous sommes à Paris, en 1920, Elisabeth est une petite bretonne qui débarque à Paris afin de retrouver ses parents, dont elle n’a qu’une photographie. Là voilà dans une chambre de bonne, prête à découvrir la capitale. Bien sûr, les choses ne sont pas simples mais Elisabeth est une petite fille courageuse et dynamique à laquelle le lecteur s’attache immédiatement. Tout en suivant les aventures menées tambour battant, le jeune lecteur découvre aussi un Paris historique peuplé de bourgeois, clochards, gueules cassées, truands, petit peuple de métiers disparus. Mais, en plus, l’immeuble est envahi par…les Schmolls !
Vient ensuite Alexandre sur les flots, paru en mai 2024, qui met en scène Alexandre, jeune garçon, orphelin, qui travaille aux abattoirs de La Villette. Son rêve, c’est l’Amérique. Il quitte donc Paris, baluchon sur l’épaule, et part pour Brest afin d’embarquer sur un navire. Oh ! ce navire est envahi par les Schmolls. Heureusement, Alexandre est plein de ressources et… rencontre Elisabeth !
Cette année, Vincent Cuvellier et Guillaume Bianco nous invitent à suivre Madeleine. Nous sommes toujours à Paris, et Madeleine est une jeune orpheline muette adoptée par un couple bourgeois. Incroyable : un voyou tente de l’enlever ! N’écoutant que son courage, Madeleine se réfugie dans tunnels du métro, puis dans les catacombes. Elle découvre un peuple de personnages étonnants, mais aussi… les Schmolls ! Le lecteur, là encore, est happé par les aventures et la qualité de la restitution historique dans Madeleine sous la ville.
Chaque volume de mêle adroitement enquête, roman historique, poésie et jolies illustrations. Un vrai plaisir !
Véronique Fouminet
Emile et le facteur, Vincent Cuvellier, Ronan Badel, pour les petits à partir de 3 ans
Gallimard Jeunesse, Giboulées
ISBN : 9782075218979
Pour les plus petits, à partir de 3 ans, Vincent Cuvellier a crée la série Emile. Emile est enfant attachant, mais… très, très têtu ! Au cours de ses aventures, quand il veut quelque chose, rien ne l’arrête. Cette fois, Emile envoie une invitation à sa chère Julie, puis, il attend, il attend, il attend sa réponse ! Certes, il noue alors une étonnante amitié avec le facteur, mais, oublie (encore !) de ranger sa chambre. Alors, relevant le défi, sa maman lui écrit une lettre…
Une série qui observe finement le quotidien et amuse les petits, et les grands !
Véronique Fouminet
Les téléphonistes anonymes, Agnès Desarthe, un roman pour les ados de 11 à 13 ans
Gallimard Jeunesse
ISBN : 9782075215732
« – Bonjour, madame, excusez-moi de vous déranger, dis-je. Mes camarades de classe et moi, nous faisons une enquête sur la communication et nous voudrions savoir si vous pourriez nous expliquer comment on faisait à l’époque où il n’y avait pas de portables.
[- J’ai l’air si vieille que ça ? fait la dame en riant.
– Non, pas du tout, disent les voix dans mon dos.] coupe possible
– C’est parce que vous lisez un livre qu’on vous pose la question, précise Noah. Vous êtes la seule à lire dans le tram, alors on a pensé que vous n’aviez pas de mobile.
Elle sort un smartphone de son sac à main.
– Et vous, demande-t-elle, comment ça se fait que vous n’avez pas vos appareils à la main ?
– On a décidé d’arrêter, annonce Georges avec panache.
Le regard que nous adresse la dame au livre sauve notre journée. Les épaules se redressent, les mentons se lèvent. Un souffle de fierté emplit nos poumons. » pp. 105-106
Prudence est une petite fille intelligente, sensible et joyeuse. Son vrai problème, au moment de son entrée en cinquième, est d’être invisible pour les autres. En effet, elle ne correspond pas aux normes en vigueur et, pire que tout, n’a pas téléphone portable ! Or, incroyable, un jour, c’est Georges, le garçon le plus populaire du collège, qui arrive sans téléphone. Il refuse d’expliquer pourquoi ses parents l’en ont privé, mais, surtout, il ne sait comment se comporter sans ce petit prolongement de lui-même… Alors, il s’adresse à Prudence ! A eux deux, ils convainquent les autres élèves que la vie est bien meilleure sans téléphone ; s’en passer est bon pour la planète, pour l’esprit, pour les relations… Le club des « Téléphonistes anonymes » est ainsi fondé. Les enfants découvrent alors le plaisir de se parler, en vrai, de vivre ensemble. Bien sûr, cela ne va pas sans mal : comment résister à un appel ? comment expliquer aux adultes qu’on n’envoie plus de messages ?
Le lecteur suit avec plaisir les stratégies et découvertes du petit groupe qui vit désormais sans téléphone ni écran.
A l’heure où les études sérieuses se multiplient pour alerter sur l’usage inconsidéré des écrans, voici un roman jeunesse qui se lit avec plaisir et qui permet de lancer la réflexion…
Les peurs de conception, Agnès Desarthe, à partir de 13 ans
L’École des loisirs, M+ Poche
ISBN : 9782211344630
Les éditions Gallimard ont eu la bonne idée de rééditer, en poche, Les peurs de Conception d’Agnès Desarthe. Conception est une jeune fille de 15 ans, qui a… peur du noir ! Impossible de l’avouer, pas même à son psychanalyste. Encore moins à l’irrésistible Jérémie, aussi intelligent que charmant mais tyrannique et qui n’a que 14 ans ! On suit avec plaisir l’évolution de Conception, qui manque terriblement de confiance, que les professeurs n’encouragent pas vraiment. Heureusement, il y a madame Kolda, la professeure de piano qui sait prodiguer les bons conseils.
Bandes dessinées adultes : une sélection des dernières nouveautés par véronique Fouminet
La Terre verte, Hervé Tanquerelle, Alain Ayroles
Delcourt, collection Mirages
Date de parution : 9 Avril 2025
ISBN 9782413076780
Aux derniers temps du Moyen Age, les ultimes descendants des Vikings tentent désespérément de survivre sur les rivages glacés du Groenland. Un homme au lourd passé, en quête d’une seconde chance, débarque parmi eux. Leur apportera-t-il le salut ou précipitera-t-il l’effondrement de la « Terre verte » ? (Note de l’éditeur)
The nice house by the sea Tome 1, James Tynion IV, Alvaro Martinez Bueno, Maxime Le Dain
Urban Comics, collection Grand Format Urban
Date de parution : 25 Avril 2025
ISBN : 9791026828020
Après les deux tomes de The Nice House on the Lake, audacieuse série primée à Angoulême, voici une nouvelle histoire, parallèle mais liée aux personnages précédents.
Aucun des douze convives de cette belle demeure en bord de Méditerranée ne connaissait Max. Elle connaissait pourtant chacun d’entre eux. Experts dans leur domaine, géants de l’industrie et du savoir moderne, chacun d’entre eux est l’excellence personnifiée. Pour échapper à la fin du monde et incarner l’avenir de l’Humanité, tous ont accepté en leur âme et conscience de se réunir dans ce petit paradis créé rien que pour eux, abandonnant vie et proches à leur triste sort. Survivre à la mort programmée de l’humanité ? Vivre éternellement ? Que pourrait-il y avoir de mal à ça ? (Note de l’éditeur)
Charlotte Impératrice Tome 4 : soixante ans de solitude, Fabien Nury, Matthieu Bonhomme
Dargaud
Date de parution :18 Avril 2025
ISBN : 9782205211757
Voici une bonne nouvelle pour nombre d’entre vous : l’ultime tome de la série Charlotte Impératrice !
Alors qu’elle a traversé l’Atlantique pour plaider la cause de son époux, l’impératrice Charlotte du Mexique découvre en Europe que ses alliés se font rares… Abandonnée de tous, la jeune souveraine bascule dans un égarement – parfois violent – dont profite ses ennemis pour l’enfermer… pendant soixante ans !
L’épilogue magistral de la tétralogie de Bonhomme et Nury, sur la vie tragique de Charlotte de Belgique, souveraine et pourtant femme à laquelle aucune souffrance n’aura été épargnée. (Note de l’éditeur)