La Lettre de janvier 2025, rentrée littéraire de l’hiver
Le 28 janvier 2025 | 0 Commentaires

Bonne année à vous toutes et tous, fidèles lectrices et lecteurs de notre lettre !
Une année qui commence bien, pour la littérature de langue française, avec une belle rentrée littéraire de l’hiver 2025 : Un avenir radieux, suite très attendue de la saga Pelletier de Pierre Lemaitre, les nouveaux romans d’Andreï Makine, Jean Échenoz, Nathalie Azoulai et d’Emmanuelle Favier (qui nous emmène à bord d’un sous-marin nucléaire britannique), le roman de Dimitri Kantcheloff, l’auteur de la très réussie et originale biographie de Boris Vian (Vie et mort de Vernon Sullivan, Finitude, 2024), le troisième et dernier tome de la trilogie Le pays des autres, de Leila Slimani, et enfin Les fausses fenêtres, un superbe texte inédit de Michel Tournier.
Des essais aussi, des frères Rolin, un très beau texte de Michel Zink, l’académicien et médiéviste préféré de Véronique (notre libraire), qui nous fait découvrir les mythes et légendes de la licorne et enfin un plaidoyer de Paul Audi, qui nous propose un « livre d’amitié » dont le propos n’est pas le conflit israélo-palestinien mais la recrudescence de l’antisémitisme. 
Et puis nous avons besoin de vous. En cette nouvelle année, nous vous proposons un nouveau rendez-vous. Vous avez le plaisir de lire la Lettre du libraire chaque mois ; nous savons que, vous aussi, avez des coups de cœur et aimez en parler. Pourquoi ne pas les partager dans la lettre ? Envoyez-nous vos textes par mail à info@letempsretrouve.nl, notant « Chronique » en objet. Nous les lirons avec plaisir et choisirons d’en publier un chaque mois.
Nous sommes impatients de vous lire, à vos plumes !

ROMANS
Un avenir radieux, Pierre Lemaitre

Calmann Levy
Date de parution : 21 janvier 2025
ISBN : 9782702183625, 592 pages

« Tout, expliquait-elle, avait commencé six ans plus tôt, en 1953. François se souvint d’articles du Journal du soir feuilletés pendant sa rapide préparation, évoquant la soudaine réforme imposée par le gouvernement pour parachever la transition vers l’économie socialiste. En réalité, pour aligner la monnaie du pays sur le rouble soviétique. Tous les observateurs avaient été frappés par la brutalité de cette mesure annoncée le 31 mai et entrée en vigueur… le lendemain. » p.399

Troisième volume de la saga de la famille Pelletier, Un avenir radieux nous transporte de Paris à Prague en 1959. François Pelletier, un des fils de la famille des savonneries Pelletier de Beyrouth, a quitté le Liban pour devenir journaliste. Astucieux et plein d’énergie, il est parvenu à devenir grand reporter d’un quotidien Parisien. Il est aussi réalisateur d’une grande émission événementielle pour la télévision. La savonnerie vendue, le patriarche Louis et sa femme Angèle s’installent à la campagne avec la petite Colette, loin de Geneviève, son horrible mère, dont l’affaire montée avec son mari Jean, dit Bouboule, prospère. Un voyage officiel en Tchécoslovaquie d’un groupe d’industriels français s’organise. Jean doit y prendre part mais y renonce pour rester auprès de son père Louis qui est victime d’une attaque au cœur. Colette ne peut plus rester avec son grand-père. Elle doit retourner vivre avec ses parents et retrouver l’enfer maternel. Entre-temps, François est contacté par les services du Renseignement français qui lui confient une mission ultra secrète à Prague. Il ira sous le couvert d’un reportage pour son émission. Le voyage sans histoire promis par les RG se transforme rapidement en un dangereux film d’espionnage.
Pierre Lemaître sait à merveille ménager effets de surprise et rebondissements. Mêlant savamment saga familiale et roman d’espionnage, Un avenir radieux renoue avec le rythme et la tension d’Au revoir là-haut, qui manquaient au second tome de la saga PelletierExcellent cru pour ce nouveau Pierre Lemaitre !
Pierre-Pascal Bruneau

Prisonnier du rêve écarlate, André Makine

Grasset
Date de parution : 2 janvier 2025
ISBN : 9782246840152, 416 pages

« Le barbu folklorique demande au journaliste d’arrêter l’enregistrement, se lève et s’apprête à se retirer, sans serrer la main à Lucien. Puis, soudain, se tourne vers lui, et d’un air compatissant conclut :
            « Grâce à vous, monsieur Baert, j’ai compris une chose : la valeur d’un témoignage dépend beaucoup du niveau intellectuel des témoins. Vous venez d’évoquer la carrière scientifique d’Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne. Et vous, si ce n’est pas indiscret, vous avez reçu quel genre de formation ? » » p. 300

Quel plaisir de lire un nouveau roman d’Andreï Makine ! Tout y est : la taïga, l’Histoire, l’idéalisme, les rebondissements, l’amour et la virtuosité de l’écrivain.
Un projet de documentaire sert de prologue à ce nouveau grand roman qui nous livre la vie étonnante de Lucien Baert, devenu Matveï Belov. Le lecteur le découvre d’abord amnistié et à peine sorti d’un camp de prisonnier, perdu dans la forêt autant que dans sa mémoire. Heureusement, il rencontre Daria, les souvenirs reviennent et il se réconcilie avec son double. Lucien Baert, jeune ouvrier communiste français était venu découvrir Moscou, mais, il a raté le train du retour… Il resta donc trente ans en Union Soviétique ! Après vingt ans d’internement, il se reconstruit, puis l’Histoire encore ! Cette fois, il revient en France, à l’aube de mai 68, piètre révolution. Le choc est terrible, l’incompréhension difficile à vivre, malgré les amours, plus ou moins sincères. Survient alors Soljenitsyne, désormais témoin officiel. Le retour à Tourok semble être la seule possibilité…
Andreï Makine nous entraîne dans ces cinquante ans d’Histoire avec son style à la fois souple et vif, fluide et percutant, parfois poétique. Le lecteur ne peut que s’éprendre de Lucien/Matveï, sincèrement idéaliste, pris dans le tourbillon politico-historique, qui n’est qu’un « cocu de l’Histoire », un « prisonnier du rêve écarlate ».
Les fidèles lecteurs de Makine seront ravis de retrouver la maîtrise du style, et l’art du conteur mis au service des thèmes récurrents que sont le double, les trahisons de l’Histoire et la passion amoureuse. Les lecteurs qui découvriront l’auteur seront emportés par ce grand roman !
Véronique Fouminet

Bristol, Jean Echenoz

Les Éditions de Minuit
Date de parution : 2 janvier 2025
ISBN :  9782707355928, 208 pages

« On voit tout de suite que ces arbres ne s’entendent pas. Il ne s’aiment pas : le platane envie la prétendue noblesse du chêne qui, de son côté, lui jalouse une meilleure espérance de vie. Ils se toisent en chien de faïence, duellistes se défiant avant de s’engager sur le pré mais, plantés là, ils sont bien obligés de vivre ensemble et de l’ombrager, ce pré, deux fois par jour. Quand le soleil monte à l’orient, il revient aux platanes de le couvrir avant que l’astre plonge vers l’ouest en fin d’après-midi, où c’est aux chênes de prendre la relève. Distribution des rôles qui implique une rivalité féroce, chaque parti voulant étendre l’ombre la plus vaste, marquant ainsi son territoire. » pp.37/38

Jean Echenoz est sans conteste un de nos grands écrivains contemporains. Bristol est d’abord un formidable exercice de style et un superbe exemple pour tous les apprentis écrivains et écrivaines. Le mot juste, tout en évitant le pédantisme de certains auteurs qui recherchent « l’effet » par le choix d’un vocabulaire précieux, la construction des phrases et du récit, l’histoire elle même aussi, tout concoure à faire de Bristol un roman modèle. On le sait, les premières phrases d’un roman, l’incipit, sont très importantes parce qu’elles donnent d’entrée le ton et le style du livre. On connait le célèbre « Longtemps, je me suis couché de bonne heure... » ou encore, comme nous le rappelait Pierre Assouline, l’Incipit du Voyage au bout de la nuit : « Ça a débuté comme ça ». Celui de Bristol est exemplaire :
« Bristol vient de sortir de son immeuble quand le corps d’un homme nu, tombé de haut, s’écrase à huit mètres de lui. »
Tout y est : la première impression est la bonne, la curiosité du lecteur est sollicitée. D’entrée de jeu, il est accroché et il est probable qu’il ne lâchera plus le livre jusqu’à la fin. Alors, bonne lecture !
Pierre-Pascal Bruneau

Toutes les vies de Théo, Nathalie Azoulai

P.O.L.
Date de parution :  2 janvier 2025
ISBN : 2818062888, 272 pages

« Le ton monta. Il ne comprenait rien, il n’avait jamais rien compris. Lui, Théo Ravier, fils de Marie Meyer, qui passait sa vie à scruter la Shoah, l’exaction et le repentir ? Rien compris ? Comment pouvait-elle ? C’était offense contre offense, coup contre coup. Ils s’affrontèrent la nuit entière. » p. 95
« Le soleil d’une injustice symétrique se leva sur le monde. Léa et Maya s’exprimaient à fronts renversés. L’histoire jugera, disait l’une, la justice triomphera, disait l’autre.  » p. 220

Drôle de lieu pour une rencontre : un stand de tir ! Pourtant, c’est bien là que Théo et Léa se rencontrent et tombent amoureux ; est-ce un présage ? Ils s’aiment, ils sont jeunes ; elle est juive, lui chrétien, allemand par sa mère, peu importe : ils se marient. Une petite fille naît, tout va bien… jusqu’au 7 octobre 2023. Ce devait être la soirée d’anniversaire de Théo, tout est annulé et chacun est renvoyé à ses propres émotions ; une faille s’est ouverte. Au fil du conflit, l’incompréhension devient insupportable et la séparation est inévitable. Léa se renferme sur son identité juive et « Théo comprenait mais Théo n’aimait pas la haine ». Comme Léa se rapproche de Dan, Théo accepte de rencontrer Maya, jeune artiste libanaise. Le professeur critique d’art tombe amoureux et épouse… sa cause !
L’histoire pourrait être caricaturale mais le talent de Nathalie Azoulai est de rendre compte des émotions, des tourments, des doutes des personnages sur lesquels elle porte parfois un regard cruellement lucide. Chacun cherche qui il est vraiment, quelle est sa place dans le couple à la double culture, et, plus généralement, en ce monde qui manque de sens. Romance ou conte cruel, en forçant parfois le trait, ce roman pose avec une fausse légèreté la question de l’identité face à l’adversité.
Véronique Fouminet

Tout le monde garde son calme, Dimitri Kantcheloff

Finitude
Date de parution : 10 janvier 2025
ISBN : 2363392213, 192 pages

« Bien sûr, ça n’avait pas le panache ni la fureur d’une échappée en hélicoptère, d’une cascade sur les toits de Paris ou d’une course-poursuite en voiture de sport, mais il était rare que les choses de la vie se déroulent comme dans les films de Belmondo.
Leur fuite fut lente.
Très lente.
Interminable. »
p. 132

Dimitri Kantcheloff, dont nous avions beaucoup aimé l’an dernier Vie et mort de Vernon Sullivan, nous plonge dans la France de la fin des années 1970. La reconstitution subtile de l’époque, grâce aux références musicales ou cinématographiques, se fait à travers un couple étonnant. Lui, Victor, représentant en parapluies, marié et père de famille, un peu hâbleur et impulsif, vient tout juste d’être licencié. Elle, Corine, est une jeune femme libérée, frondeuse aux idées révolutionnaires. Ils se rencontrent dans un bar… et c’est le coup de foudre ! Oui, mais, avant que leur histoire puisse commencer, elle exige de lui qu’il prenne conscience de la situation du monde : il lui faut donc lire Guy Debord. Pour Victor, c’est une révélation. Il abandonne femme, enfant et rêves petit-bourgeois pour devenir complice de sa belle révolutionnaire dans une série de braquages, de rencontres ; puis c’est la cavale…
Encore une fois, c’est le style de Dimitri Kantcheloff qui rend le texte irrésistible ; le rythme vif, la vigueur des images, l’efficacité des dialogues et, surtout, la complicité joyeuse qu’il entretient avec le lecteur qui, à son tour, unit sa voix à celle de l’auteur en lisant les remerciements.
Un récit virevoltant qui se savoure un sourire aux lèvres !
Véronique Fouminet

Écouter les eaux vives, Emmanuelle Favier

Albin Michel
Date de parution : 2 janvier 2025
ISBN : 9782226483812, 352 pages

« Ils restèrent un long moment côte à côte, à regarder l’étendue immobile. Elle sentait sa chaleur humide dans son épaule. L’odeur moite, épicée de l’animal parvenait à ses narines. Le soir n’en finissait pas de tomber sur le lac, qui semblait résister à la nuit. La surface de l’eau se piqueta soudain d’impacts légers, le sable s’ocella de taches plus brunes. Il pleuvait. Enfin le ciel se conformait à son chagrin. » p.113

L’écriture d’Emmanuelle Favier se caractérise d’abord par un vocabulaire riche, usant de mots souvent rares. Elle se caractérise également par la construction des phrases, le rythme, les images. Écouter les eaux vives, son nouveau roman, c’est tout cela, mais cette fois avec la sensualité en plus. Belle idée que ce personnage d’« oreille d’or ». J’ai en mémoire le premier épisode de la série anglaise Vigil de la BBC, qui se passe dans un sous-matin nucléaire anglais, et Emmanuelle Favier, traduit, peut-être mieux que par l’image, l’atmosphère qui règne dans ces  » bateaux noirs « . La tension entre un équipage majoritairement masculin et les quelques rares femmes qui sont à bord est palpable. Il faut de la force et bien du courage à ces femmes pour rester, des semaines durant, enfermées par des dizaines de mètres de fond, dans une une promiscuité quasi permanente. Les personnages sont originaux et attachants. On retrouve ici la construction d’un livre précédent, La part des cendres, de vies parallèles qui finissent par se croiser. La passion, irraisonnée, torride, dévorante, unira et déchirera Ian, la belle sous-marinière, pourtant si sûre d’elle-même, et Abel, un sombre et fier hidalgo, aveugle et solitaire. Un beau et puissant roman.
Pierre-Pascal Bruneau

Les fausses fenêtres, Michel Tournier

Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 7 novembre 2024
ISBN : 9782073052407, 168 pages

« J’étais parvenu à ce stade de l’enfance où la nouveauté que l’on soupçonne grosse de signification secrète est recherchée avidement, emmagasinée sans inventaire préalable, comme en prévision d’années vides où il serait temps enfin de recenser et de douer de sens toutes les énigmes accumulées. » p. 132

Les éditions Gallimard nous offrent un texte inédit de Michel Tournier ! Il s’agit du premier texte littéraire de l’auteur, écrit à 25 ans, alors qu’il venait d’échouer à l’agrégation de philosophie. « J’avais les meilleurs parents du monde » dit le narrateur à l’ouverture du roman. Nicolas raconte sa vie, solitaire, dans le château familial de Montmort, au milieu des livres et des arbres. Un jour, arrive Porphyre, un étrange philosophe, ami de son père ; les questionnements commencent et tout bascule. Dans ce récit onirique, philosophique, parfois mystique et, malheureusement, inachevé, le lecteur a le plaisir de retrouver la plume à la fois douce et efficace de Tournier. Le narrateur affronte la sortie de l’enfance, la découverte de l’autre et de l’amour, et l’auteur explore déjà les grands thèmes que le lecteur de Vendredi ou du Roi des Aulnes reconnait. Il est remarquable de lire, aidé par la qualité des notes de Jacques Poirier, combien ce premier texte contient déjà ce qui fera le succès de Michel Tournier.
Véronique Fouminet

J’emporterai le feu, Leila Slimani, troisième partie (fin de la trilogie Le pays des autres)

Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 23 janvier 2025
ISBN : 9782073098368, 432 pages

« Mehdi se sécha, enfila un tee-shirt propre et un pantalon de toile, et il chercha au fond de sa sacoche le livre qu’il avait acheté pour sa fille. Il poserait sa main sur son épaule, il lui sourirait et lui ordonnerait de ne jamais se retourner. “Mia, va-t’en et ne rentre pas. Ces histoires de racines, ce n’est rien d’autre qu’une manière de te clouer au sol, alors peu importent le passé, la maison, les objets, les souvenirs. Allume un grand incendie et emporte le feu.” »

Enfants de la troisième génération de la famille Belhaj, Mia et Inès sont nées dans les années 1980. Comme leur grand-mère Mathilde, leur mère Aïcha ou leur tante Selma, elles cherchent à être libres chacune à sa façon, dans l’exil ou dans la solitude. Il leur faudra se faire une place, apprendre de nouveaux codes, affronter les préjugés, le racisme parfois. Leïla Slimani achève ici de façon splendide la trilogie du Pays des autres, fresque familiale emportée par une poésie vigoureuse et un souffle d’une grande puissance. (Note de l’éditeur)

« Sans conteste le plus puissant des trois romans. […] Le plus intime, aussi. Leïla Slimani le confirme, elle est une très grande écrivaine. » Le Parisien

« Leïla Slimani clôt brillamment la trilogie inspirée de son histoire familiale. TTTT » Télérama

« Trilogie accomplie. » Livres Hebdo

« Encore une fois, la fresque aussi politique que familiale dessinée par Leïla Slimani impressionne par sa justesse et sa richesse. » L’Express

« Moins épique, plus intime, d’une écriture renouvelée et déchirante. » ELLE

« L’auteure du Pays des autres conclut en beauté sa trilogie familiale. Cette fresque construite au cœur d’un Maroc moderne devient une fabuleuse quête de liberté pour les sœurs Mia et Inès. » Madame Figaro

ESSAISTous passaient sans effroi, Jean Rolin

P.O.L.
Date de parution : 2 janvier 2025
ISBN : 9782818061688, 160 pages

« J’ai fait mes études au lycée Condorcet (comme Marcel Proust, ajouterai-je, bien que ce ne soit pas dans le texte) de 1927 à 1931. Ainsi commence l’interrogatoire auquel le volontaire Jean-Pierre Grumbach est soumis par le service de renseignement de la France Libre, le 13 août 1943, peu après son arrivée à Londres au terme d’un voyage remarquablement fertile en péripéties. » p.87

Jean Rolin nous raconte l’histoire de ces passeurs qui, au péril de leur vie, ont permis à des centaines de résistants, de juifs, et à tous ceux qui ont tenté d’échapper au régime de vichy et à la répression nazie, de franchir les Pyrénées. Ce n’est pas une mince affaire quand ont a à ses trousses gendarmes, miliciens et chiens policiers. Un récit passionnant, sobrement conté, précis et captivant. Vous retrouverez des résistants célèbres, mais aussi des gens simples, des femmes, des enfants. Ces passeurs, qui ont aidé ceux qui ont fui parce qu’ils étaient traqués et tous ceux qui ont fait leur devoir, alors que tant d’autres ont fait de mauvais choix, méritaient bien qu’un hommage leur soit rendu. C’est ce que fait Jean Rolin avec le talent de conteur qu’on lui connait.
Pierre-Pascal Bruneau

Quand j’étais Licorne, Michel Zink de l’Académie française

JC Lattès, collection Bestial
Date de parution : 8 janvier 2025
ISBN : 9782709674911, 180 pages

« C’est ainsi, je n’ai rien compris. Les années passant, j’ai cessé d’être licorne sans avoir su tirer parti ni de l’avoir été, ni de ne l’être plus. Je n’ai tiré parti de rien, je n’ai fait bon usage de rien, ni de tous les vieux poèmes que, ma vie durant, j’ai continué de lire sans profit, ni même l’amour dont j’ai fini par être comblé sans l’avoir mérité. J’ai mal aimé. J’ai peu donné, j’ai vieilli en vain. » pp.160/161

Michel Zink, médiéviste, professeur de littérature, écrivain et membre de l’Académie française, nous parle, avec grand talent, du mythe de la licorne. Beaucoup ont en tête l’image aseptisée et naïve qu’en ont donné le Fantasia de Disney et beaucoup de contes pour enfants. Mais la licorne est beaucoup plus que cela. Michel Zink qui préfère dire l’unicorne, nous révèle un animal mystérieux. Les poètes du Moyen Âge, chers à l’auteur, l’ont beaucoup évoquée. Quelle est la vraie histoire de la licorne ? Quels sont les symboles qu’elle représente ? Quels sont ses secrets  ?
Pour mieux nous le faire comprendre, Michel Zink fait appel à ses propres souvenirs d’adolescence et évoque le poème de Rainer Maria Rilke :

« Ô c’est là l’animal qui n’a pas d’existence.
Ils n’en savaient, eux, rien, et l’avaient en tout cas
‒ son allure, son cou, la façon de son pas ‒
aimé, jusqu’au regard, calme et plein de brillance. »
La célèbre tapisserie de La dame à la licorne conservée au musée de Cluny est, elle, l’allégorie d’un animal sauvage, qui, selon la légende, ne peut-être capturé que par une jeune fille vierge et innocente. Selon Michel Zink, c’est aussi le symbole de la passion du Christ qui se livre, comme la licorne, sans défense, à ses bourreaux. L’allégorie de la licorne est très fortement liée à l’amour chanté par les troubadours et les trouvères du Moyen Âge. La poudre de sa corne, comme celle du rhinocéros, aurait, dit la légende, des pouvoirs aphrodisiaques. Bref, beaucoup de contes et de légendes sont attachés à ce bel animal. Michel Zink nous les raconte dans une langue claire et simple.
Pierre-Pascal Bruneau

Tenir tête, Paul Audi, Prix Essai Femina 2024

Stock, collection Documents
Date de parution : 2 octobre 2024
ISBN : 2234097800, 329 pages

« Certes, il ne fait aucun doute que, de nos jours, la haine passionnée et dévorante des Juifs est opportunément suscitée et perpétuellement alimentée par les acteurs du conflit israélo-palestinien, au premier rang desquels les politiciens pour qui les tensions intercommunautaires représentent une source inépuisable de profits en tous genres. » p. 190

Face au déferlement des violences depuis le 7 octobre 2023, le philosophe Paul Audi propose un « livre d’amitié » dont le propos n’est pas le conflit israélo-palestinien mais l’existence et la recrudescence de l’antisémitisme. Pour cela, l’auteur choisit une forme hybride, mêlant essai théorique et fiction. En effet, il invente les lettres qu’échangent deux amis français, dont l’un est juif, l’autre non. Choisir l’échange épistolaire permet de redonner du temps à la réflexion, d’autant que les textes sont, chaque fois que nécessaire, accompagnés de notes. Cet échange est interrompu par deux essais « Haine » et « Devoir » dans lesquels le philosophe expose clairement sa réflexion, toujours nourrie de références clairement citées. Le but de Paul Audi est bien de clarifier à la fois les faits, historiques, religieux, politiques et moraux, et le vocabulaire employé, tout en espérant que, sur la ligne de crête, le dialogue véritable soit enfin possible. Depuis la parution de ce livre, d’autres événements ont eu lieu mais il reste nécessaire de « tenir tête » afin que la haine ne l’emporte pas.
Véronique Fouminet

Vers les îles Éparses, Olivier Rolin

Verdier, Collection Jaune
Date de parution : janvier 2025
ISBN : 9782378562335, 96 pages

« Sept heures et demie du matin, le bateau est sur le point d’appareiller lorsque le général commandant de la zone sud de l’Océan Indien exprime le désir urgent de me voir. Peut-être a-t-il eu une fiche faisant état de très anciennes activités peu compatibles avec un embarquement sur une unité de la Marine nationale ? Je me vois déjà contraint de remballer mes cliques et mes claques, livres et tout le reste, et de prendre le prochain vol de retour vers Paris. » p.11

Olivier Rolin nous embarque à bord d’un navire de la Marine nationale, un bâtiment dit de soutien et d’assistance (un Bsaom) de soixante-cinq mètres de long, « l »air trapu et teigneux d’un très gros remorqueur ». Il y passera plusieurs semaines, vivant au rythme de l’équipage. D’abord préoccupé par l’écart d’âge, lui septuagénaire parmi un équipage composé de très jeunes gens, il se mêle vite, sans difficulté, à la vie à bord. Il participe ainsi, sans rechigner, aux exercices de toute nature qui meublent la vie en mer de tous les vaisseaux de la Royale : arraisonnement d’un navire ennemi, récupération d’un homme à la mer, incendie, avitaillement etc., . La mission spécifique de ce bateau consiste, pour l’essentiel, à ravitailler les petits postes des Îles Éparses. C’est un ensemble d’îlots, souvent minuscules, la plupart du temps inhabitables, que la France a conservés après l’indépendance de Madagascar. Une poignée de soldats, fiers représentants de la République, sont cantonnés, pour un ou deux mois, sur les îles Europa, Bassas da India, Juan de Nova, Glorieuses et Tromelin.
Olivier Rolin sympathise avec Vincent, le « Pacha », le seul, avec le Principal, un breton, qui a plus de trente ans. Au carré des officiers, les aspirants et les « midships », Pierre, le Polytechnicien, Anténor, Estelle et la « seconde » Elsa, échangent peu avec « l’invité » : autres temps, autres mœurs, leur langage, plus au moins codé et leurs pôles d’intérêts sont bien différents de ceux du vieil écrivain. Le récit est illustré par de charmants dessins de l’auteur.
Au delà de l’anecdote, Olivier Rolin excelle à nous faire partager son émerveillement pour l’Océan Indien et la nature luxuriante de certains de ces ilots : dépaysement garanti !
Pierre-Pascal Bruneau

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Et n’oubliez pas, de nous envoyer vos textes par mail à info@letempsretrouve.nl, avec la référence « Chronique » en objet !