Février 2023, la rentrée littéraire d’hiver (suite)
Le 21 février 2023 | 0 Commentaires

Il nous restait encore à vous parler de beaucoup de livres de cette rentrée littéraire de janvier : en premier lieu, lisez L’ancien calendrier d’un amour, le nouveau roman d’André Makine, puis une surprenante suite de la France Goy, de Christophe Donner, à lire aussi Les sources, le beau roman de Marie-Hélène Lafon toujours sur cette campagne française chère à son coeur, ou encore un prenant et sensible roman-biographie de Laurent Seksik sur Kafka, ou Le nageur de Bizerte, le nouveau long roman épique de Didier Decoin. Publié aussi en janvier dans la série Ma Nuit au musée, chez Stock,  Christophe Boltanski nous raconte sa nuit passée au musée d’art africain de Tervuren, et puis nous vous recommandons encore bien d’autres nouveautés, mais pas uniquement. Ainsi, parmi les livres empilés dans ma chambre et qui attendent sagement que je m’en empare, j’ai retrouvé le dernier livre de François Sureau, Un an dans la forêt,  un récit paru lors de la rentrée de septembre, et qui régalera les amoureux de Cendrars et de la langue française (celle de Voltaire !).  Enfin, Tiphaine Hubert fera pour vous un rapide tour d’horizon des lauréats du festival d’Angoulême.
Pierre-Pascal Bruneau

L’ancien calendrier d’un amour, André Makine


Grasset
Date de parution : 11 janvier 2023
ISBN : 9782246832300, 198 pages, 21.26€

« Il pensait qu’on ne le reprendrait plus à ce jeu où les peuples se massacraient au profit des
politiciens va-t’en-guerre et des financiers transmutant le sang en or. C’est la faiblesse de la
mémoire humaine qui l’étonnait : vingt ans auparavant, on avait déjà entendu les mêmes
appels aux sacrifices et observé la même sauvagerie
. » p. 148

Ah, un nouveau Makine ! Ressentez-vous, vous aussi, ce picotement quand vous lisez ce nom, quand vous vous apprêtez à ouvrir un nouveau roman du brillant écrivain ? Vous ne serez pas déçus ! Une visite dans un cimetière est l’occasion de rencontrer un vieil homme et de trouver là… toute une vie à raconter : un tout jeune homme, issu de la haute société, une belle résidence d’été en Crimée, l’été 1913, les premiers émois, le tsar moqué, les contrebandiers, la guerre qui approche. Bref, tous les éléments semblent rassemblés pour ouvrir une belle saga familiale, un vrai « roman russe ». Et pourtant, non ; ce sera l’histoire d’une vie, celle de Valdas Bataeff. Il traverse le siècle et l’Histoire le transperce, guerre, Révolution, exil, guerre encore, Résistance, encore une guerre… Les faits ne sont qu’évoqués et, précisément, c’est cette absence de détails, de pathos, de héros éclatants qui montre l’inanité des événements, la vacuité d’une vie d’homme. Celle de Valdas ne l’est qu’en surface ; très tôt, il comprit que la vie n’est qu’un jeu de masques, de tromperies, de pouvoirs et cela le déçoit et l’intéresse peu. Quant à lui, il a vécu, en toute clandestinité, le grand amour, le vrai, celui qui se rit du calendrier, qui donne sens à une vie, qui nous fait tous rêver. Malheureusement, l’Histoire a percuté leur histoire. Tout l’art de Makine réside dans la concision, la densité de la narration. Charmé, touché par Valdas, le lecteur file aussi d’un événement à l’autre ; toujours reste l’éblouissement du seul véritable amour. On suit avec plaisir cet itinéraire étonnant, cette leçon d’Histoire, à hauteur d’homme, que Makine émaille de sa mélancolie, sa vision du monde, parfois d’un trait d’humour ou d’une réflexion sur ce que peut la littérature. N’hésitez pas à retraverser le siècle dernier, avec l’amour pour guide !
Véronique Fouminet

Ce que faisait ma grand-mère à moitié nue sur le bureau du Général, Christophe Donner


Grasset
Date de parution : 11 janvier 2023
ISBN : 9782246813217, 304 pages, 23.98€

« – Parce que je suis un écrivain. Et un écrivain qui n’arrive pas à raconter l’histoire qu’il porte en lui depuis toujours, celle qui raconte vraiment sa vie, c’est un écrivain qui est… je ne sais pas ce que je suis. Un écrivain prometteur.
– Tu ferais mieux de te taire.
 » Pages 282 et 283

Christophe Donner continue, avec brio et humour, à nous raconter l’histoire de la droite française et plus précisément ici celle de Léon Daudet et de l’Action Française, histoire qu’il avait commencée dans son précédent ouvrage, La France Goy (Grasset). Dans son dernier livre, c’était l’histoire mêlée de sa famille et de celle des Daudet. Ce livre adopte le même concept des histoires parallèles de ces deux familles, les Daudet et les Gosset, la famille de Christophe Donner. Christophe Donner nous raconte en particulier, à partir de faits réels, l’histoire de Philippe, le fils ainé de Léon Daudet, adolescent brillant mais perturbé, dont la mort, à quinze ans, soulèvera des passions et suscitera d’innombrables procédures pour la plupart initiées par son père. S’y ajoute l’histoire du Général, ses années de guerre (la Grande), puis ses rapports compliqués avec le Maréchal, son père spirituel, jusqu’à la Libération. Quel est ainsi le lien entre la grand-mère du narrateur et le Général ? Que faisait-elle donc à moitié nue sur son bureau ? Vous ne le saurez qu’à la toute fin de ce livre instructif, drôle, souvent émouvant, qui fait revivre, avec talent, tous ces personnages qui hantent encore, et probablement pour longtemps, notre histoire collective.
Pierre-Pascal Bruneau

Les sources, Marie-Hélène Lafon


Buchet-Chastel
Date de parution : 5 janvier 2023
ISBN : 9782283036600, 128 pages, 17.44 €

« (…) elle ne reconnait pas son corps que les trois enfants ont traversé ; elle ne sait pas ce qu’elle est devenue, elle est perdue dans les replis de son ventre couturé, haché par les cicatrices des trois césariennes. Ses bras, ses cuisses, ses mollets et le reste. Saccagé ; son premier corps, le vrai, celui d’avant, est caché là-dedans, terré, tapi. Il dit, tu ressembles plus à rien, tu pues, ça pue. Et s’enfonce. » Page 26

Marie-Hélène Lafon connaît bien la campagne, la terre, son poids, si lourd qui pèse sur les familles, sur les vies, de génération en génération. Marie-Hélène Lafon connait le prix que les femmes doivent payer pour maintenir la tradition et assurer l’avenir de ces exploitations agricoles. Ce prix est lourd, si lourd qu’il détruit les vies, saccage les couples et attriste (au mieux) les enfants. Mariages de raison dictés par l’intérêt respectif des familles, mariages sans amour, ces unions dès le premier jour sont vouées à l’échec. La haine de part et d’autre ne fait que s’accroitre au fil des ans. L’homme, fruste, taiseux, a été élevé dans une tradition où la femme doit remplir une fonction précise. Faute de pouvoir exprimer son ressentiment pour sa femme qui ne fait pas, selon lui, face à ses obligations, cet homme devient violent. Alors, il faut se résigner à partir. Il faut en avoir le courage, toutes ne le trouvent pas. Si elles partent, ce n’est pas tant pour éviter les coups, la résignation fait partie du lot des femmes à la campagne, mais pour protéger les enfants. Divorce, vies brisées et pour finir transmission ratée de la ferme, les enfants n’ayant de cesse, dès la mort du père de vendre ces terres, cette maison, ces lieux qui auraient pu être leurs racines mais qui ne sont porteurs que de mauvais souvenirs. Marie-Hélène Lafon décrit magistralement ces milieux ruraux, ces familles de paysans qui se délitent et ces fermes qui disparaissent pour longtemps.
Pierre-Pascal Bruneau

Franz Kafka ne veut pas mourir, Laurent Seksik

Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 12 janvier 2023
ISBN : 9782073015068, 352 pages, 23.43€

« Il avait cru comprendre que Kafka écrivait sous la dictée, non pas d’une force supérieure,
mais d’une énergie interne, d’une sorte de pulsion. C’était comme s’il écrivait sous la
contrainte, une douce contrainte, sous l’emprise passagère non d’une angoisse mais d’une
ivresse, peut-être l’ivresse de la page blanche. Dès qu’il prenait la plume, Kafka devenait un autre que lui-même, un autre que l’agent d’assurances, un autre que le fils maudit ou l’affligeant fiancé. Il semblait débarrassé du poids de sa conscience, délié de tout engagement, délivré du poids de la contrainte humaine. Il voyait et décrivait le monde de hauteurs qui ignoraient les lois de la pesanteur terrestre.
 » p.225

Laurent Seksik a consacré cinq ans à préparer son livre. Il a révélé lors d’un entretien à la radio que cela lui permettait de répondre à son propre traumatisme d’étudiant en médecine : l’acte ultime face à un malade mourant et souffrant. Il a aussi été ravi de découvrir en Robert Klopstock une sorte de double de lui-même : médecin et écrivain. Tous les faits sont réels, l’auteur n’en revendique que la mise en scène. Seksik nous livre un magnifique roman qui permet au lecteur de découvrir l’homme, tendre et drôle, qui se cache derrière l’œuvre fascinante de l’écrivain austro-hongrois. Pour cela, nous suivons les trois personnes essentielles dans la vie de Kafka : sa sœur préférée, Ottla, son dernier amour, Dora Diamant, et son nouvel ami et médecin, Robert. C’est à travers ces trois voix, ces trois amours, que l’auteur rend à Kafka toute sa complexité d’homme ultrasensible et d’écrivain épris de perfection. Le roman, après un prologue très clinique, s’ouvre en 1921, juste avant la rencontre entre Franz Kafka, déjà gravement atteint par la tuberculose, et le jeune Robert Klopstock, lui-même malade. Ensuite, nous suivons les vies et les pensées de chacun, nous sommes « aux côtés » de Kafka, selon le but que s’est proposé Laurent Seksik. Puis, survient la mort, attendue, demandée par Kafka lui-même à Robert, qui accepte d’injecter la dose fatale de morphine. Aucun d’entre eux, pas plus que les parents de Franz, ne se remet vraiment de la mort de celui-ci. La deuxième partie du roman est consacrée au destin de ses proches, à la façon dont ils ont transmis l’œuvre ou la mémoire de Kafka. Tous ont dû affronter le nazisme, la deuxième guerre mondiale, le stalinisme. Sous une plume élégante, avec des descriptions précises, des dialogues qui semblent véridiques, Seksik redonne vie à toute une époque et propose ainsi un nouvel éclairage sur les écrits de Kafka et sa vision prophétique du monde. Que l’on connaisse et apprécie déjà l’œuvre, ou non, ce beau roman donne envie de s’y plonger et d’en (re)découvrir la profondeur et d’affirmer que non, Kafka n’est pas mort !
Véronique Fouminet

Le nageur de Bizerte, Didier Decoin


Stock, Collection La Bleue
Date de parution : 4 janvier 2023
ISBN : 9782234084230, 350 pages, 24.52€

 » Pour Yelena Maksimovna Mannenkhova, le début de l’exode datait de cette soirée de septembre à Jytomyr, première ville d’importance proche du domaine de Zagoskine, où elle avait assisté en compagnie de sa tante Sofia Féodorovna  à une représentation de la Cerisaie par la troupe du Théâtre du discours ukrainien. » Page 125

Les derniers espoirs de reconquête des russes blancs reposent, en 1920, sur le général Wrangel, surnommé le baron noir. Poursuivi par les Bolchéviques jusqu’en Crimée, Wrangel parvient à faire embarquer près de cent cinquante mille réfugiés dont la moitié de soldats. Seule la France, abandonnée par ses alliés qui ont tous reconnus le régime bolchévique, reste, pour un temps, fidèle à la Russie Blanche. Tous ces bateaux, vieux navires de guerre, en partie désarmés, rouillés, dont beaucoup doivent être remorqués faute de machines en ordre de marche, parviennent à atteindre plusieurs ports de la Méditerranée, dont celui de Bizerte, en Tunisie. C’est à un de ces navires, encré en rade de la lagune de Bizerte que se heurte Tarik Aït Mokhtari, alors qu’il s’entraine pour un concours de natation. En contournant l’immense navire pour reprendre sa route il aperçoit Yelena Maksimovna Mannenkhova, belle et fragile jeune fille, toute de blanc vêtue. Il cherchera à la revoir. Il parviendra à monter à bord et à lui parler. Entre Tarik, issu d’une famille pauvre mais fière de ses traditions, et Yelena, s’établira un étrange dialogue, le jeune et beau nageur tombant sous le charme ensorcelant de la jeune aristocrate russe. Un beau récit, savamment construit, écrit dans un français que l’on n’a (hélas) plus guerre l’occasion de lire.
Pierre-Pascal Bruneau

« King Kasaï », Christophe Boltanski


Stock, Collection « Ma nuit au musée »
Date de parution : 11 janvier 2023
ISBN : 9782234091337, 160 pages, 20.17€

 » D’un bout à l’autre de la BD, Tintin personnifie le parfait administrateur colonial. Il représente l’autorité, le savoir, le progrès. […] Le Congo ? À l’instar du roi Léopold, il n’y est jamais allé. En revanche, comme tous les Belges, il a visité le palais de Tervuren. Pour réaliser ses dessins, il s’y est rendu presque chaque jour, comme on va au supermarché ou à la bibliothèque. Il a pioché dans sa collection. Il lui a emprunté ses accessoires les plus fameux : la pirogue, l’homme-léopard, le totem, le fétiche. Tintin n’explore pas un pays, mais son appartement-témoin. » Pages 57-60

Pour sa « Nuit au musée » , Christophe Boltanski a choisi  l’Africa Museum, à Tervuren, en Belgique. C’est là où se trouvait le Musée du Congo Belge. En 1897, s’y tient l’Exposition Universelle de Bruxelles. Le Musée du Congo, fermé pendant cinq années, ouvre à nouveau en 2018. La nouvelle muséographie rompt définitivement avec le paternalisme, le racisme, issu de la colonisation et met en évidence les merveilles de la civilisation du Kasaï. Christophe Boltanski a donc choisi d’y passer la nuit, face à un majestueux éléphant. Déambulant dans les allées du musée, il s’interroge sur l’origine de ce qu’il voit et sur les méfaits du colonialisme : suffit-il d’une muséographie nouvelle pour rétablir l’honneur des peuples anciennement soumis, pour gommer les ravages d’une politique colonialiste ?
Pierre-Pascal Bruneau

Le bureau d’éclaircissement des destins, Gaëlle Nohant


Grasset
Date de parution : 4 janvier 2023
ISBN : 9782246828860, 416 pages, 25.07

Au cœur de l’Allemagne, l’International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d’investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu’elle élève seule depuis son divorce d’avec son mari allemand. A l’automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ? Le bureau d’éclaircissement des destins , c’est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l’Europe. Une fresque brillamment composée, d’une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent. (Note de l’éditeur)

L’heure des femmes, Adèle Bréau


JC Lattès
Date de parution : 11 janvier 2023
ISBN : 9782709669450, 468 pages, 23.43€

« A travers quatre héroïnes inspirantes d’hier et d’aujourd’hui, l’auteure, petite-fille de Menie Grégoire, continue d’explorer les liens de sororité dans ce très beau roman sur les combats de femmes. Passionnant de bout
en bout. » Version Femina

Paris, 1967. À l’aube de la cinquantaine, Menie, mère de famille bourgeoise, est recrutée par la radio RTL qui a décidé de renouveler ses programmes. Son rôle ? Faire parler les auditrices. En quelques semaines, c’est la déferlante. Les femmes de la France entière se confient à « la dame de cœur ». Bientôt, à l’heure de la sieste, elles seront des millions à suivre l’émission avec passion. Parmi elles, Mireille et sa sœur Suzanne, qui découvrent qu’elles aussi pourraient maîtriser leur destin. Quant à la vie de Menie, partagée entre le tourbillon d’une société libérée par Mai 68 et les tourments qu’on lui livre, elle en est totalement bouleversée. Cinquante ans plus tard, Esther, une documentariste qui peine à se reconstruire, va replonger dans ces années pas si lointaines où le sort des Françaises semble d’un autre âge. Avec ce nouveau roman porté par la figure de Menie Grégoire, sa grand-mère, Adèle Bréau unit les destinées de femmes qui, malgré leurs différences, se tendent la main. Amour, maternité, droits, sororité… l’auteure explore sur cinq décennies les avancées, paradoxes et régressions de la condition féminine, les mettant en résonance dans une fresque résolument romanesque. (Note de l’éditeur)

Un an dans la forêt, François Sureau


Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 3 novembre 2022
ISBN : 9782072985232, 96 pages, 13.62€

 » J’ai du mal à reconstituer l’avant-guerre, entre la douleur de ce qui s’était passé – et dont la manche vide de Cendrars reste pour moi le signe – et l’innocence avant la chute, avant ce qui allait advenir d’irréparable. » Page 39

L’Académie Française a parfois accueilli dans ses fauteuils, du fait de circonstances particulières, des personnages singuliers. Christophe Donner nous rappelle dans son dernier livre comment un certain Philippe Pétain, auteur d’un seul livre sur la bataille de Verdun, livre écrit, semble-t-il, par quelqu’un d’autre (de Gaulle s’était prêté à l’exercice pour finalement se retirer pour divergences de vues avec le Maréchal), y est entré en 1929 (l’Académie conservera son fauteuil vide jusqu’à sa mort en 1951). Mais François Sureau, lui, est un écrivain véritable. De son écriture vive, rapide, parfois même sèche, il sait autant évoquer ses souvenirs d’enfance que ses héros. Il parle ainsi du petit bois dans lequel « à peine y-entrait-on que les duretés de la ville s’estompaient, et puis au bout une rivière enchantée coulait, dans un bruit de moulin et de barques se heurtant aux passerelles« . Ce petit bois, vous l’aurez reconnu, c’est celui de notre enfance, en tout cas de la mienne. Et même s’il se trompe lorsqu’il dit qu’il borde l’avenue de Neuilly, il mène cependant bien au Jardin d’acclimation, François Sureau parvient, en quelques mots, a faire revivre la magie des jours heureux. Ce petit recueil est consacré surtout à l’évocation de Blaise Cendrars, son écrivain de prédilection et de coeur. Il raconte une seule année de la vie de Cendrars, l’année 1938, que l’écrivain passa auprès d’Elisabeth Prévost dans les Ardennes. Il avait 51 ans, elle en avait 27. Belle, cavalière émérite, écrivaine, grande voyageuse, fortunée et quelque peu excentrique, Élisabeth Prévost conquiert en une journée le coeur de Cendrars. Invité dans le Pavillon de chasse de la belle amazone situé au bord de la forêt, près de la Belgique, pour y passer la journée, il y restera une année. Amoureux de Cendrars ce livre est pour vous, ne passez surtout pas à côté.
Pierre-Pascal Bruneau

Seul entouré de chiens qui mordent, David Thomas

Points
Date de parution : 6 janvier 2023
ISBN :  9782757894026, 240 pages, 8.61€

« Les bibliothèques sont comme des empruntes digitales, il n’y en a pas deux identiques au
monde. (…) Si vous voulez savoir qui je suis, passez un moment devant ma bibliothèque, elle en sait plus sur moi que je n’en sais moi-même. Elle est mon portrait le plus intime. »
« Ma bibliothèque
 », pp. 121-122

Ce recueil de nouvelles a été couronné du Prix de la nouvelle 2021 de l’Académie française ; il est désormais disponible en poche ! Il s’agit d’une centaine de courts, voire très courts, textes qui sont autant d’instantanés de nos vies, de la vie des autres. Ces autres sont saisis en quelques lignes grâce à une écriture vive, parfois orale, toujours précise et efficiente. L’auteur nous offre une belle variété de portraits, de situations, de points de vue masculin ou féminin, qui emporte le lecteur, le fait virevolter de l’un à l’autre. Le regard lucide, voire acéré, souvent ironique, que porte David Thomas sur les êtres est aussi tendre, amusé et jamais cruel. Le lecteur s’amuse, rit jaune, s’attendrit, reconnait une situation, s’interroge… tourne les pages de ce recueil comme celles d’un album photo du quotidien. Voilà une nouvelle façon de regarder et de dire le monde, saluée par Jean-Paul Dubois (Prix Goncourt 2019) et
qui a déjà réjoui nombre de lecteurs… A votre tour !
Véronique Fouminet

Kaddish pour un amour, Karine Tuil


Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 5 janvier 2023
ISBN : : 9782073000354, 128 pages, 15.26€

Le kaddish est l’une des prières de deuil que les juifs récitent plusieurs fois par jour. Il a pour objet, non pas la mort, mais le futur et la sanctification du nom divin. Il n’existe pas de kaddish pour l’amour — alors une femme l’écrit pour l’homme dont elle est séparée. Dans Kaddish pour un amour, celle qui aime cherche l’aimé dans l’absolu de sa présence. La langue est ciselée, épurée, témoin de la fragilité du sentiment amoureux. Ce splendide recueil, habité par un souffle mystique, renoue avec une tradition poétique hébraïque trois fois millénaire et offre une prière universelle pour le retour de l’être aimé. (Note de l’éditeur)

Petite Sale, Louise Mey


Le Masque
Date de parution : 11 janvier 2023
ISBN : 9782702451090, 378 pages, 23.46€

« Dehors, l’air est d’une humidité coupante et les ampoules qui tentent d’éclairer la cour ne font qu’assombrir encore les zones où la lumière ne porte pas. Quand la nuit tombe en hiver, l’obscurité est comme une vague, un immense animal gras et épais qui vient renifler aux portes et gratter aux fenêtres. »

L’histoire que vous allez lire – car amateur de polar ou pas, tout lecteur devrait lire Louise Mey – se passe à la fin des années 60. Pourtant, les premières pages nous laissent penser que nous sommes remontés bien plus loin dans le temps. Qui est Demest, ce propriétaire qui semble avoir avalé le village et les terres qui l’entourent ? Qui pourrait lui en vouloir au point d’enlever sa petite-fille ? Ce sont les premières questions que vont se poser Gabriel et Dassieux, les deux inspecteurs parisiens dépêchés dans l’Oise pour enquêter sur la disparition de la fillette de quatre ans. Sur place, les deux policiers sont confrontés à un mur. Ni la famille, ni les employés ne veulent parler. Ils vont vite comprendre que ce silence  n’est pas dû à la loyauté. Un récit à l’ écriture fine et vive dans lequel l’autrice a l’art de faire parler des personnes que l’on entend peu souvent et d’en faire des personnages complexes. Petite Sale comme La deuxième femme, précédent polar de Louise Mey, est définitivement un page turner de grande qualité.
Tiphaine Hubert

Bandes dessinées, Retour à Angoulême

par Tiphaine Hubert

Cette année, enfin, après deux ans d’absence, le festival international de la bande dessinée a retrouvé sa place ! Pour tous les grands amateurs de bandes-dessinées, c’est durant le dernier weekend de janvier que le rendez-vous est donné.  Après un début difficile dû à une polémique autour de l’auteur Bastien Vivès, le weekend s’est déroulé comme à son habitude, entre quiétude et euphorie dans la jolie ville d’Angoulême. Petit retour sur les prix attribués :


Par un système pas toujours simple à comprendre, les trois nominés pour le grand prix d’Angoulême 2023 – prix récompensant l’ensemble de la carrière d’un auteur – étaient Catherine Meurisse, Alison Bechdel et Riad Sattouf. C’est ce dernier qui a été récompensé. Quoi de plus normal puisqu’il vient de publier le dernier un tome de sa série à succès L’arabe du futur. Voilà plus de dix ans que Riad Sattouf a entrepris de raconter l’histoire de sa famille, de son enfance en Syrie jusqu’au début de la guerre civile en 2011. Un long cheminement d’introspection pour cet auteur talentueux qui aura ouvert tout un monde de cases et de bulles à beaucoup de non-lecteurs de bandes dessinées. Un prix bien mérité.

Le fauve d’or a été attribué à La couleur des choses de Martin Panchaud. Simon est un jeune homme pas tout à fait à l’aise dans la vie. Il faut dire qu’il n’est pas bien entouré et qu’il ne s’aide pas beaucoup puisqu’il finit par se tourner vers une voyante. Mauvais cheval ? Peut-être pas… Si le récit de cet album reste très original (avec la présence d’une baleine qu’il faudra suivre jusqu’au bout !) c’est le procédé de narration qui en étonnera plus d’un. Simon est représenté par un point, orange. Toute l’histoire nous est racontée du dessus, comme sur un plan où nos personnages-points déambulent pour nous raconter un inquiétant polar. Cette année, c’est donc l’originalité qui a été récompensée. Et on ne va pas s’en plaindre car cet album est publié par les Éditions ça et là. Maison d’édition qui publie peu et bien. Ils ont d’ailleurs également remporté le prix du public avec l’album Naphtaline de Jole Otero.


Nous sommes également très heureux des deux albums albums jeunesse primés car ils faisaient tous les deux parties de nos coups de cœur. La longue marche des dindes, adaptation du roman de Katleen Karr par Léonie Bischoff, est un adorable roman graphique jeunesse à lire à partir de 8 ans. Missouri, été 1860. La maîtresse de Simon le pousse vers la sortie de sa classe. A 15 ans, il est grand temps que le garçon déploie ses ailes. Après avoir appris qu’à Denvers les dindes qui pullulent dans son village valent vingt fois plus, il décide d’acquérir 1000 bêtes et de prendre la route. En route, Simon apprend l’amitié et la trahison. Un très beau roman initiatique magnifiquement illustré par Léonie Bischoff. C’est un premier album jeunesse, nous espérons vivement que ce prix encouragera l’autrice à nous livrer d’autres pépites. Quel bonheur de voir Quentin Zuttion récompensé par ce prix spécial du jury ! Toutes les princesse meurent après minuit, est un album que nous conseillons à partir de 12 ans, et qui trouve sa place auprès d’un public jeune comme d’un public adulte. Fin de l’été 97, la chaleur est aussi pesante que l’ennui chez les enfants de la maisonnée. L’été n’en finit plus et pourtant, une page se tourne. Alors qu’à la radio on annonce la mort de Lady Di, c’est un autre drame qui se joue car le père de ce foyer ne reviendra plus. Les amours contrariés se croisent sur ces planches d’aquarelles menthe à l’eau. Un délice esthétique au charme désuet pour un récit qui fait des bleus au cœur.


Les prix du festival d’Angoulême 2023 rassemblent donc de bien beaux albums même si on déplore l’absence dans la sélection de l’exceptionnel Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet et de La Bibliomule de Cordoue de Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau, favoris des libraires pour cette année 2022. Si le premier a remporté le prix BD Fnac France Inter, ce sont les libraires spécialisés en bande dessinée – prix Canal BD 2023 – qui ont accordé un prix spécial à la Bibliomule de Cordoue.

Tous ces albums et bien plus sont à découvrir dès maintenant dans votre librairie.